#Polar

Sous la surface

Martin Michaud

La veille du Super Tuesday, jour crucial des élections primaires américaines, l'écrivaine et ancienne top-modèle Leah Hammett débarque à Lowell avec son mari, Patrick Adams, candidat favori à l'investiture démocrate.
Vingt-cinq ans après avoir quitté sa ville natale sans jamais y revenir, Leah voit son passé ressurgir avec violence, une violence aussi forte que les espérances qu'il suscite.
Commence alors un jeu de miroir où les apparences tissent une toile complexe qui dissimule une vérité oppressante et noire. Drames, histoires d'amour tragiques et trahisons deviennent l'épicentre d'un ouragan, celui qui dévaste l'existence de chaque personnage et remue, sous la surface, les arcanes du pouvoir, à Washington.

Par Martin Michaud
Chez Kennes

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Editeur

Kennes

Genre

Policiers

OUVERTURE

 

Ma garce de vie s’est mise à danser devant mes yeux, 

et j’ai compris que quoi qu’on fasse, au fond, 

on perd son temps, alors autant choisir la folie.

 

Jack Kerouac, On the road

 

Je n’ouvre jamais les yeux dans l’eau. J’ai peur des forces qui gravitent sous la surface, des formes noires qui ondoient dans l’ombre; peur d’y croiser un visage putréfié ou que la mort me saisisse par la cheville et me fige dans le limon jusqu’à ce que la dernière molécule d’oxygène ait quitté mes poumons. Cette règle, je la respecte aussi à la piscine, car on ne sait jamais avec certitude ce qui se trame sous la surface.

Le vestiaire des femmes était désert en ce 14 décembre 1999. Une odeur de chlore flottait dans l’air. S’abonner à un club privé en plein cœur de Manhattan coûtait la peau des fesses, mais j’aimais la tranquillité qui animait ces lieux, tôt les jours de semaine.

Depuis quelques mois, chaque fois que je venais nager, chacun de mes gestes contribuait au strict respect d’une routine préprogrammée: déposer mon sac sur le banc de bois patiné, face à mon casier; me déshabiller et suspendre mes vêtements aux crochets de l’armoire métallique; glisser mes orteils dans la bride en V de mes tongs.

Par la suite, au son du caoutchouc qui claquait contre mes talons, je me rendais à la toilette complètement nue, sans même prendre la précaution de me couvrir. À quoi bon ?
Je ne croisais jamais personne à cette heure-là et, sans doute à cause de mon ancien métier, la nudité ne m’intimidait pas.

Dès que j’avais fini d’uriner, je me dirigeais vers le miroir fixé au mur de céramique. En un tournemain, je remontais en chignon ma tignasse blonde avec l’élastique entortillé autour de mon poignet. Guettant l’arrivée d’une première ride, j’effleurais parfois du bout des doigts la peau de mes paupières inférieures, sous mes yeux verts.

Il y avait déjà trois ans, à cette époque, que j’avais arrêté de faire des défilés de mode. Or, même si, quelques semaines plus tard, le nouveau millénaire me propulserait dans la trentaine, mon corps n’avait pas changé d’un iota au cours de la dernière décennie.

Maillot enfilé, l’étape finale de mon rituel consistait à vérifier le contenu de mon sac — une enveloppe, mon portefeuille et un nécessaire de toilette —, à le poser sur la tablette du haut et à refermer la porte de métal. Après avoir pris une serviette dans la pile sur le comptoir, je poussais la porte qui menait à la piscine.

Sous le grésillement des néons, l’eau scintillait comme un miroir et le bruit de ma respiration me semblait amplifié par le silence sépulcral. Je prenais une grande inspiration avant de plonger. Mes paupières étaient closes au moment de toucher l’eau.

Lorsque je reviendrais au vestiaire, l’enveloppe aurait disparu. Ce manège s’était déjà produit et se produirait encore. On peut n’être que témoin de son existence, mais parfois les gestes que l’on pose nous ramènent des années plus tard à l’origine des choses. Et quand on a tout perdu, même le nom de celui qu’on a aimé a une drôle de consonance.

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22/10/2014 360 pages 20,95 €
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