#Essais

Hexagone. Sur les routes de l'Histoire de France

Lorànt Deutsch

Le principe de ce livre est de suivre, du VIe siècle avant Jésus-Christ à nos jours, les mouvements des peuples qui se sont peu à peu rassemblés, autour d'une idée qui deviendra la France. « Les routes de l'histoire de France » : 26 itinéraires que nous suivons, au fil des siècles, comme une véritable épopée. Tout commence par une histoire d'amour entre le chef des Phocéens débarqué dans le Sud pour y créer des comptoirs de commerce et la fille du chef des Segobriges, qui vivent à cet endroit. Résultat : au lieu d'une guerre, un mariage… et la construction de Marseille, première ville de ce que deviendra la Gaule… À propos, saviez-vous que ce sont les Romains qui nous ont baptisés Gaulois ? « Galli, Galli ! » hurlaient-ils quand Brennus, venu de l'Yonne avec ses guerriers celtes, mettait le feu à leur cité au IVe siècle av. J.-C. Et à propos de Celtes, saviez-vous qu'un trésor celtique inestimable, découvert récemment, est enterré en Bourgogne ? Et qu'à la même époque, il y avait un trafic formidable sur la Seine, les bateaux transportant le précieux étain venu de Cornouailles ? Voilà qui attirait de multiples tribus gauloises, en quête de nouvelles richesses ! Ainsi suivons-nous les migrants, sur les routes de l'étain, de l'ambre, du sel et du fer… Lorànt Deutsch le baladin se promène avec jubilation dans toutes les époques, conteur inspiré mais aux sources sérieuses (dûment répertoriées à la fin de l'ouvrage). Nous voyons Charles Martel vaincre les Arabes à Poitiers… pour récupérer l'Aquitaine, Louis XIV traverser son royaume avec un orchestre qui lui interprète la musique de Lully ; nous perçons les secrets des citadelles cathares, et de La Rochelle se proclamant État protestant. Nous assistons à la naissance du chemin de fer, qui fit abandonner l'entretien des routes… sauvées par le vélo et l'automobile ! Chaque siècle apporte ses villes-étapes, ses événements et leurs traces palpables. Avec Lorànt Deutsch, empruntez les voies romaines, les fleuves et les chaussées de monsieur Mac Adam, et savourez les découvertes d'un parcours qui, peu à peu, prend la forme de l'Hexagone.

Par Lorànt Deutsch
Chez Michel Lafon

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Genre

Histoire de France

Introduction

AUX SOURCES DE LA ROUTE…
Par la voie hérakléenne



La rue Saint-Jacques grimpe le flanc de la montagne Sainte-Geneviève et s'échappe, droite, décidée, comme pour s'en aller découvrir d'autres paysages. Je remonte cette voie qui fut le grand axe des Romains, le cardo autour duquel s'organisait toute la vie de Lutèce. Bientôt, la porte d'Orléans ; le périphérique au trafic incessant forme l'ultime muraille circulaire de la ville. À Paris comme ailleurs, c'est une route qui marque la limite.
Les routes me fascinent depuis longtemps. À l'instar des lignes de métro pour Paris, elles sont autant de lignes de vie menant à la découverte de l'inconnu. Sentiers, chemins, venelles ou boulevards, artères pavées ou chaussées bitumées, autoroutes, rails ou fleuves sont des portes entrouvertes : à l'autre bout, toujours, l'imprévu peut surgir. La route, c'est le mouvement, les peuples en migration, les civilisations qui se découvrent. Comment comprendre l'Histoire en marche sans s'attacher aux sillons creusés par les populations et les armées, par les promeneurs solitaires et les grandes migrations humaines ? Comment comprendre un pays sans se pencher d'abord sur les axes de communication qui le ramifient, formant le système nerveux de ce grand corps ? Comment comprendre un peuple sans saisir la signification de ces conquêtes sur la nature, sans percer le sens de ce mariage entre l'homme et sa terre ?
Encore quelques embranchements, et l'autoroute me conduit vers l'ouest. Demain soir, je serai sur scène près d'Angers, sur les terres de mon enfance, j'y jouerai Le Songe d'une nuit d'été de Shakespeare. Mais auparavant je bifurque, je vagabonde, la curiosité me guide et me transporte vers la Bretagne. Pour moi, c'est la route qui fait naître le voyage et non le voyage qui vous pousse sur la route. Sur le parcours, des villes et des hameaux se succèdent, ils s'échelonnent au loin, pourtant je ne vois que des panneaux : « Le Mans centre », « Direction Rennes »… L'étape ne se fait pas à l'ombre d'une vieille cité, le rythme de l'autoroute évite le passé et interdit la nostalgie. Tout est conçu pour avancer, avancer vite, l'angoisse du temps perdu nous talonne. S'il faut s'arrêter, ce sera dans une station-service, pour faire le plein d'essence, prendre un sandwich-Coca-café, et s'en retourner aussitôt vers le ruban gris pour avaler les kilomètres.
Je roule encore. Sortie. L'autoroute devient route nationale, puis se fait plus étroite pour se muer en départementale. J'arrive à Camaret-sur-Mer, la pointe du continent, la fin de la Terre… le Finistère.
Virage à droite. Une petite rue longe un champ jaunâtre, des herbes folles, quelques solides maisons bretonnes… et des rangées bien rectilignes de pierres dressées. Blafardes et anguleuses, ces pierres disposées en enfilade regardent vers le ciel, se tendent vers l'infini comme dans une prière.
Je suis face aux alignements de Lagatjar, quelque soixante-dix menhirs rescapés sur les six cents encore répertoriés au XVIIIe siècle. Ces pierres forment une ligne de deux cents mètres, coupée par deux rangées transversales composées d'autres menhirs.
En Bretagne, la multiplication de ces champs de pierres a fait naître maintes légendes que des générations ont répétées le soir à la veillée. Ici, on parlait d'un gros caillou tombé du ciel qui s'enfonçait lentement dans le sol et disparaîtrait complètement un jour, annonçant le cataclysme ultime, la fin du monde. Là, on racontait que Dieu avait pétrifié des soldats partis à la poursuite de saint Korneli. Ailleurs, on disait que certaines nuits, lorsque la lune éclairait la lande, des esprits menaçants venaient former une ronde autour des menhirs. Ailleurs encore, on assurait que les pierres dressées poussaient jadis naturellement dans les champs, mais que leur inquiétant développement avait été stoppé par la prière des paroissiens…
En réalité, que signifient ces étranges compositions ? Honorent-elles les morts, invoquent-elles les dieux, définissent-elles un espace ? À l'aube de l'humanité, les peuples se déplaçaient pour trouver plus loin, toujours plus loin, des étendues nouvelles, des terrains de chasse, des prairies, des pâturages. Après avoir traversé des plaines, franchi des montagnes et longé des fleuves, après avoir avancé devant eux, ils sont parvenus à ces limites… Plus loin, il n'y avait rien, que la mer effrayante et l'horizon muet qui traçait sa ligne droite comme pour tirer un trait définitif. Comment deviner ce que l'on pouvait découvrir là-bas, si loin, au-delà du visible ? On se représentait une nuit perpétuelle recouvrant des eaux tempétueuses, on imaginait des démons ailés régnant sans partage sur un univers glacial.
Puisque le chemin suivi par des nations nomades s'arrêtait ici, ne leur fallait-il pas trouver une autre façon de poursuivre leur marche ? Prolonger la route de manière fantasmagorique pour approcher les dieux et toutes les forces supérieures…
Je me promène entre les blocs dressés ici depuis au moins quatre mille ans, bien avant les Gaulois et notre cher Obélix. Que d'efforts entrepris pour déplacer ces pierres, les tailler, les dresser ! Que d'efforts pour rendre hommage aux dieux redoutables et ouvrir les voies d'un ciel peuplé d'imaginaire ! Que d'efforts pour dessiner ainsi la route hypothétique qui mènerait vers le monde de l'immortalité !
Ces pierres alignées servaient certainement aussi à étudier les astres et à mesurer le temps : elles auraient permis, par leur angle particulier, de suivre les mouvements des étoiles. Et l'on suppose que ces observations du ciel entretenaient un rite religieux dont on ne sait rien, mais auquel pouvaient être associés la Lune et le Soleil.
J'aime imaginer que ces pierres prenaient tout leur sens face à l'astre du jour dont l'éclat exprimait la vigueur des divinités. Je veux croire que ces alignements nous indiquent une route, la première tracée par l'homme confronté au sens de l'existence : une route qui menait à une vie située plus loin que la vie, une route qui donnait un sens aux mystères du monde et permettait aux êtres humains d'accepter leur sort.
Ainsi donc, la première route pensée et construite n'avait pas pour objectif de relier deux villages ou deux tribus, elle ne cherchait pas à rapprocher utilitairement les hommes entre eux… elle conduisait à l'absolu. On la suivait, on l'observait, on croyait approcher l'éternité.
Puis ces peuples ont disparu, le chemin vers l'infini a été oublié, la plupart des pierres ont été abattues, volées ou déplacées… Pourtant, l'homme du XXIe siècle vient encore chercher dans les vestiges de ces alignements de grès blanc le passage vers un au-delà qui n'a jamais cessé de lui paraître angoissant et mystérieux.
Cela dit, si les voies de l'éternité ont de tout temps continué de hanter l'âme humaine, les habitants de la Terre ont parallèlement tracé d'autres routes, les vraies, celles qui allaient leur permettre de trouver des ressources nouvelles, de rencontrer d'autres Terriens, de façonner leur histoire. Mais là encore, le surnaturel semble les avoir guidés, par l'intermédiaire d'un demi-dieu. Suivons-le : il va nous amener aux portes de l'Hexagone !
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26/09/2013 458 pages 18,95 €
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