La nécessaire continuité des liens familiaux
Alain Bouregba
La nécessaire continuité des liens familiaux est un principe reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant. Ce principe fait écho aux observations cliniques qui administrent, depuis longtemps, la preuve que certaines ruptures des liens enfants parents, compromettant la capacité de l’enfant à ériger en lui une représentation stable et continue du monde et de soi, entravent son développement.
Par ailleurs, ce principe repose sur le renoncement aux tentations eugénistes qui, dans le passé, conduisirent certaines sociétés civilisées à la stérilisation des délinquantes, aux rapts d’enfants de primitifs ou à l’établissement de fabriques d’enfants socialement acceptables. Ce refus des thèses eugéniques et son corollaire, l’inviolabilité de l’intimité familiale, contribuent aux fondements éthiques de notre société, et donc à sa cohésion.
C’est pourquoi, l’obligation de préserver la continuité des liens familiaux équivaut à une double exigence de santé publique et de cohésion sociale. Pour autant, affirmer un principe ne suffit pas à sa mise en pratique. Confronter un principe d’intervention aux conditions de son exécution oblige à évaluer conjointement les facteurs impliqués dans sa réalisation et les impératifs sur lesquels il repose.
Préserver la continuité des liens entre l’enfant et son parent revient à prévenir l’impact morbide des épisodes de rupture sur le développement de l’enfant. Certes, comme le rappellera Caroline Eliacheff, grandir c’est apprendre à surmonter les expériences de séparation. Le processus de séparation est au cœur de tout développement humain, il entraîne les progrès de l’individuation. Pourtant, l’absence d’un parent peut déterminer chez l’enfant des troubles durables et sévères. Certains effacements parentaux (physiques autant que psychiques dans l’hypothèse de la dépression du post-partum par exemple) compromettent les capacités de l’enfant à supporter la séparation et à pallier l’absence de l’objet. Ils se traduiront ultérieurement par une impression d’immaturité et une fragilité affective. L’effacement parental altère la dynamique nécessaire aux processus de séparation, et ainsi la maturation psycho-affective de l’enfant. Aider l’enfant à grandir et donc à se séparer de ses parents n’est pas en contradiction avec la nécessité de préserver la continuité de liens psychiques qui l’unissent à ses parents.
L’effacement d’un parent est un risque pour le développement de l’enfant dès lors qu’il désagrège ses représentations inconscientes. Pour supporter l’absence de sa mère, le jeune enfant a besoin de se la représenter. La maturation psychique de l’enfant stabilise et équilibre les représentations inconscientes de chacun des parents au point où ces imagos pourront suppléer l’absence de contacts à l’objet. L’effacement d’un parent survenant en l’absence d’imagos parentaux stables et continus en compromet l’élaboration et par la même le processus par lequel l’enfant peut espérer pallier l’absence de l’objet. Chez l’enfant, la rupture de la continuité inconsciente de ses représentations parentales entrave sa capacité à se séparer psychiquement de son parent. Les ruptures, c’est-à-dire des expériences de désagrégation des représentations inconscientes, entravent le mécanisme de séparation. Éviter à l’enfant les ruptures, c’est préserver ses capacités à grandir et à se séparer.
Extraits
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