Introduction générale
DE LA DÉMOCRATIE LIBÉRALE
COMME RÉGIME MIXTE
La présente entreprise constitue la suite du Désenchantement du monde. Il s’était agi, dans ce livre, à la fois de mettre en évidence ce qu’avait été l’emprise organisatrice du religieux dans l’histoire des sociétés humaines, et de faire ressortir, dans l’autre sens, comment l’originalité occidentale procédait de la sortie de la religion. C’est la pointe avancée de ce mouvement, ses développements les plus récents, quand il prend l’aspect de la consécration du pouvoir des hommes de se gouverner eux-mêmes, qu’envisagent les quatre volumes de L’Avènement de la démocratie.
Continuité d’inspiration, mais différence de démarche : l’objet du Désenchantement du monde était de proposer un modèle général des relations entre religion et politique et de leurs transformations ; l’objet de L’Avènement de la démocratie est de donner, à la lumière de ce modèle, une analyse en profondeur de l’histoire du XXe siècle et des vicissitudes que le phénomène démocratique y a connues. Même s’il ne s’agit pas de raconter, mais de rendre intelligible, l’ambition d’établir l’aptitude du modèle à rendre compte des « choses telles qu’elles se sont réellement passées », dont des choses spécialement rebelles à l’explication, requiert d’entrer assez avant dans l’examen de l’histoire se faisant et des représentations qui guident ses acteurs. D’où l’ampleur du résultat, en dépit de l’extrême stylisation de l’analyse. L’enjeu est de parvenir à percer la formule du monde désenchanté, derrière la fausse transparence qui nous la cache, et de pénétrer le secret de son cours déroutant.
À cet égard, la perspective reste la même par rapport au Désenchantement du monde. La thèse que ces volumes s’emploient à défendre et à illustrer est que les structures de la société autonome s’éclairent uniquement par contraste avec l’ancienne structuration religieuse. De l’intérieur, nous sommes aveugles sur ce qui soutient notre prétention de nous donner notre propre loi et sur ce qui lui permet de s’exercer. Il faut emprunter le détour de l’ordre hétéronome et de la façon dont nous en sommes sortis pour discerner les contours et les rouages du dispositif où nous évoluons, au-delà de cette orgueilleuse conscience, qui nous trompe, d’être les auteurs de nos règles. Ce n’est qu’en ayant suivi la refonte générale des articulations du domaine collectif par laquelle se solde la soustraction à l’obéissance aux dieux, que l’on prend la mesure du phénomène démocratique dans toutes ses dimensions. C’est la condition pour l’appréhender dans sa cohérence globale, dans son épaisseur organisationnelle et dans sa dynamique interne, cette dynamique qui place son existence sous le signe de l’advenue permanente ; bref, c’est la condition pour lui reconnaître sa portée de configuration inédite de l’être-ensemble. C’est cette part structurelle et inconsciente du fonctionnement de la démocratie des Modernes que cette série de livres cherche à exhumer — mais, importe-t-il de préciser, en la saisissant systématiquement au travers de sa réfraction dans la conscience des acteurs. La prise en compte de cette organisation de l’autonomie, de l’autonomie comme organisation, ouvre, on le verra, sur une idée renouvelée de la nature de la démocratie des Modernes ou, pour être exact, de son mode de composition et, à partir de là, des problèmes qu’il lui est consubstantiel d’affronter.
Extraits
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