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Policiers
Le jeune homme ne lui accorda aucun regard. Sur la table se trouvaient des sacs en plastique dont il sortait des provisions qu’il rangeait dans des placards. Henri le regardait faire, hypnotisé.
Pourquoi avait-il prononcé son prénom d’un ton si peu assuré ? Soit, il ne l’avait pas vu depuis bientôt un an, mais de là à ne pas le reconnaître... D’une voix raffermie, il répéta :
– Jacques.
Son fils. Son propre fils l’avait kidnappé. Lui si peu téméraire, si peu aventureux l’avait arrêté, entravé, enlevé. Henri restait sidéré en suivant les va-et-vient de son rejeton entre la table et le frigo.
Il y avait assez de victuailles pour tenir plusieurs semaines. Combien de temps allait-on le garder prisonnier ?
Jacques continuait de remplir le frigo. Au moins n’avait-il pas prévu de l’affamer. Rester positif en toutes circonstances, se dit-il alors que, mains nouées sur les genoux, il sentait la colère et la honte lui crisper la poitrine. Colère de se savoir la cible d’une telle farce, honte rétrospective d’avoir imaginé un scénario plus flatteur.
– Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?
Il vit le léger tressaillement de son fils, les perles de sueur à son front. Il faisait chaud, mais il aurait juré que c’était la peur qui le faisait transpirer. À coup sûr, il redoutait des représailles. Il avait toujours opéré à froid avec lui, une bêtise n’entraînant jamais de punition immédiate. En attendant la sanction, Jacques ne vivait plus, le regardait par en dessous, sursautait quand il apparaissait dans son champ de vision. L’annonce de la sanction n’apportait pas la délivrance espérée, la punition n’étant jamais adaptée à la faute.
Jacques restait muet. Il devait avoir des consignes. C’est sans doute elle, la femme au volant, qui lui expliquerait ce qu’ils lui voulaient. Le grand benêt avait toujours eu besoin d’être mené.
Il l’observait avec un intérêt renouvelé. L’orgueil filial lui chatouilla l’ego en redécouvrant une réplique presque parfaite de lui-même. De dos, on aurait pu les confondre, quoique Jacques ne fût jamais parvenu à habiter son corps, qu’il continuait de porter comme un costume trop grand. L’échine déviée, les épaules basses, il avait l’air de s’excuser de sa taille et de sa force. Sa figure offrait un curieux mélange de traits masculins et féminins : une mâchoire carrée sous un nez petit et court, des yeux inquiets et des oreilles au dessin délicat mal assorties à sa figure de garçon boucher. Comme si mère nature avait hésité avant d’en faire un mâle. Henri dissimula un sourire dans sa barbe. Oui, le fils avait hérité le physique avantageux du père. Du côté de l’esprit, c’était une autre histoire, les gènes maternels semblaient avoir pris le dessus.
Il rangeait les provisions avec un sérieux presque risible. Sa complice pouvait compter sur lui pour mener à bien toutes les opérations dont elle le chargeait. Si on lui avait demandé de vider une baignoire à la petite cuillère, il l’aurait fait.
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