Moi qui en santé et contentement fus jadis
Suis aujourd’hui troublé par grande maladie
Et affaibli par les infirmités ;
Timor mortis conturbat me. [La peur de la mort me trouble.]
Notre plaisir ici-bas est vaine gloire
Et ce monde faux seulement transitoire
Et la chair fragile et le démon rusé
Timor mortis conturbat me.
Le sort de l’homme change et varie
Tantôt fort, tantôt faible, joyeux puis marri
Tantôt à danser, tantôt à mourir
Timor mortis conturbat me.
Rien sur cette terre qui sûr soit jamais
Comme sous le vent ploie le roseau
Ainsi ploient les mondaines vanités ;
Timor mortis conturbat me.
À la mort même les puissants s’en vont,
Princes, prélats et potentats,
Riches et pauvres en toutes conditions.
Timor mortis conturbat me.
Ni le seigneur en dépit de sa puissance,
Ni le clerc en dépit de son intelligence
Elle n’épargne ; à son terrible coup nul n’échappe.
Timor mortis conturbat me.
Comme elle a saisi tous mes frères,
Ainsi ma vie elle ne laissera en paix.
De force sa proie je serai.
Timor mortis conturbat me.
WILLIAM DUNBAR, La complainte des poètes
1
12 septembre 1999
9 h 6
Mes réveils se ressemblent tous, désormais. Je suis baigné d’humeurs poisseuses et dans mon corps, mille douleurs commencent à frémir, pâle avant-goût de la torture profonde, des tourments indicibles à venir. Immanquablement, mes yeux s’ouvrent sur le halo grisâtre qui m’entoure, puis la mémoire me revient, charriant dans son lit boueux tant de tableaux immondes que je pense en mourir chaque fois. Très vite, mes entrailles se déchirent et entre mes lèvres sèches, morve et larmes mêlées se glissent. Je suis là, seul, baigné d’une aube au goût de sel. Je ne pleure pas, non. C’est tout mon être qui se liquéfie, broyé par l’étau de cette insupportable absence de came. Anéanti par la maladie.
Souvent, pour me donner du courage, j’allume une cigarette et la fumée, fer et goudron, transperce mes poumons, me coupe le souffle un court moment. C’est une sale habitude et je reste assis, immobile, à fumer dans la pénombre qui recouvre d’un voile terne la saleté innommable de l’endroit, ce terrier de misère habité d’ombres sourdes, captives, emprisonnées entre des murs de cendre grise fissurés par le temps et l’oubli. Ces instants maladifs et sournois ne contiennent ni pensées ni sentiments. Non, cela ressemblerait plutôt à un puits sans fond, un immense précipice sur le bord duquel je me tiendrais debout, tentant d’appréhender le jour qui vient sans être pris de terreur, sujet au vertige. Un vertige chronique. Incurable. Létal. C’est après que les sentiments investissent mon âme, que je revois avec effroi toutes les horreurs passées, les dernières années. Les derniers mois. Ce que j’éprouve alors est sans comparaison, sans égal. C’est comme si une ombre froide enveloppait ma mémoire en l’habillant de noir.
Depuis combien de temps en est-il ainsi ? Je ne sais plus. Je crois que tout a empiré quand Carole est partie. Qu’elle m’a laissé seul face à ce vide insupportable. Seul avec des souvenirs que je ne peux plus porter, simplement. Je n’en ai plus la force, plus l’envie ni le courage. Tout ce que je touche est voué à la pourriture et à la destruction. J’ai semé la violence et la mort tout autour de moi. J’ai brisé des vies, volé, frappé, détruit et abîmé. On m’a trahi, sali, trompé.
Extraits
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