Le Petit Monde de Charlotte

Picon Bernard

En ce dimanche normand de printemps précoce, à l'heure où la brume cède à regret au soleil, Charlotte Sobieski descendait au Village, tout en fredonnant un chant polonais. Elle imaginait mal qu'elle habitait Lille la veille encore et que son arrivée au Village allait transformer sa vie. Riche et belle, généreuse, elle s'intègre au Village, qu'elle surprend par ses provocations. Mais l'humour, même s'il est parfois grinçant, fait tout passer.

Par Picon Bernard
Chez Les Editions du Net

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Genre

Littérature française

Charlotte

 

En ce dimanche normand de printemps précoce, à l’heure où la brume cède à regret au soleil, Charlotte Sobieski descendait au Village par la Cavée, appellation toujours conservée d’un chemin pierreux maintenant goudronné. Elle aurait certes gagné du temps en empruntant le Raidillon, mais au risque de la traversée d’un petit bois que Mélanie, sa domestique, lui avait décrit comme dangereux. D’ailleurs elle n’était pas pressée, bien en avance pour la messe de 10 heures. 

Tout en fredonnant « Madonna, Czarna Madonna », ce beau chant que tous les Polonais connaissent dès leur plus jeune âge, elle imaginait mal qu’elle habitait Lille la veille encore. Née il y a un peu plus de 20 ans dans cette grande cité, Charlotte n’avait pour ainsi dire pas connu son père, Witold Malinowski, conducteur d’autobus mort accidentellement alors qu’elle n’avait pas encore soufflé ses trois bougies. Elle apprit plus tard que ce n’était pas un homme sérieux, qu’il buvait, et battait sa femme plus que nécessaire. En tout cas, il perdit son emploi de conducteur pour avoir été surpris avec deux bouteilles de vodka sous son siège, dont une il est vrai à moitié vide. Il fut confiné dans de modestes tâches au dépôt central des autobus, où, deux mois après, un collègue maladroit l’écrasa. Sa femme, la mère de Charlotte, couturière à l’occasion, éleva courageusement leur fille, aidée par une généreuse indemnité de la Compagnie des autobus qui lui permit de demeurer dans son petit appartement de la rue Princesse, non loin de la maison natale du général de Gaulle. 

L’immeuble s’affichait de bon standing : une porte en fer forgé permettait d’accéder à un grand hall. Tout de suite à gauche se trouvait le domaine de Madame Jeanne, concierge sans âge mais non sans caractère, obséquieuse avec les propriétaires et tyrannisant les locataires, surtout les plus pauvres. Echappait pourtant à cette subtile distinction la petite Charlotte, si polie et si gentille, qui embrassait spontanément la concierge alors que la plupart des autres enfants la fuyaient ou lui tiraient la langue. 

A droite, une grande porte vitrée ouvrait sur un bel escalier en chêne clair, bien astiqué par madame Jeanne aidée parfois par Charlotte lorsqu’elle la suivait avec un petit torchon jaune. Pourtant Charlotte n’avait pas à emprunter cet escalier, même avec sa mère, car elles demeuraient dans la partie de l’immeuble située au fond du hall. Il fallait traverser une petite cour ignorée du soleil, et de surcroit assez malsaine car on y entassait les poubelles. 

La maman de Charlotte, madame Malinowski, occupait un logement décent mais sans chauffage central, composé d’une grande pièce faisant fonction de salon, de salle à manger, et surtout d’atelier de couture, où trônaient deux mannequins destinés à ajuster robes et manteaux. Une chambre avec un lit à deux places qu’elle avait conservée après le décès de son mari, une chambrette pour Charlotte, la cuisine et la salle d’eau constituaient le reste de l’appartement. S’y ajoutaient une cave minuscule et une chambre dite « de bonne », située au troisième étage et sous-louée à un étudiant. 

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16/03/2015 174 pages 14,00 €
Scannez le code barre 9782312031392
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