#Polar

Le poisson mouillé

Volker Kutscher

Berlin, mai 1929. La ville est en pleine ébullition et la police a du mal à être sur tous les fronts à la fois - combats de rue entre forces de l'ordre et communistes, criminalité grandissante et night-clubs clandestins. Et puis il y a ce cadavre repêché au fond du canal et dont personne ne semble connaître l'identité. Sauf Gereon Rath, qui l'a croisé quelques jours avant sa mort. Ce jeune commissaire originaire de Cologne qui travaille pour la brigade des moeurs brûle de résoudre seul cette affaire dans l'espoir d'être intégré à la Criminelle. Car cette enquête risque de rejoindre les dossiers des affaires classées non élucidées appelées "les poissons mouillés". Ce roman, le premier d'une série mettant en scène le commissaire Gereon Rath, dresse un fascinant portrait politique et social du Berlin des années vingt avec ses aspirations contradictoires - rêve de régime autoritaire ou soif de dissipation.

Par Volker Kutscher

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Genre

Policiers

 

 

 

 

 

 

I

 

Le cadavre du canal

(28 avril – 10 mai 1929)

 

 

 

 

 

1

 

Quand allaient-ils revenir ? Il tendit l’oreille. Dans l’obscurité, le moindre son se transformait en un vacarme infernal, le moindre chuchotement devenait un hurlement, même le silence résonnait dans ses oreilles. Un grondement et un bourdonnement permanents. La douleur le rendait à moitié fou, il devait se ressaisir. Ne pas prêter attention au bruit des gouttes qui tombaient sur le sol dur et humide, aussi assourdissant soit-il. Il savait que c’était son propre sang qui coulait sur le béton.

Il n’avait aucune idée de l’endroit où ils l’avaient amené. Un endroit où personne ne pouvait l’entendre. Ses cris ne les avaient pas déstabilisés, ils les avaient prévus dans leur plan. Une cave, d’après lui. Ou bien un entrepôt ? En tout cas, une pièce sans fenêtre. Pas un seul rayon de lumière ne pénétrait à l’intérieur, à part une faible lueur. Celle qui était restée gravée sur sa rétine depuis qu’il s’était tenu sur le pont, plongé dans ses pensées, et qu’il avait suivi du regard les lumières d’un train. Il avait pensé à leur plan, il avait pensé à elle. Puis le coup et l’obscurité totale. Une obscurité qui ne l’avait pas quitté depuis.

Il tremblait. Seules les cordes attachées autour de ses coudes le maintenaient en position verticale. Ses pieds ne le portaient pas, ils n’étaient plus là, ils n’étaient plus que douleur, tout comme ses mains qui ne pouvaient plus rien tenir. Il rassembla toute sa force dans ses bras et évita de toucher le sol. La corde frottait contre son corps, il était en nage.

Les images revenaient constamment, il ne réussissait pas à les repousser. Le lourd marteau. Sa main ligotée à la poutre métallique. Le bruit d’os qui se brisent. Ses os à lui. La douleur insupportable. Les cris qui s’étaient rapidement transformés en un seul et unique cri. L’évanouissement. Puis le réveil, lorsqu’il était sorti de la nuit sombre : les douleurs qui tiraillaient les extrémités de son corps. Mais elles n’avaient pas atteint le centre de celui-ci, il avait réussi à les tenir à l’écart.

Ils avaient essayé de l’appâter avec des drogues qui auraient calmé la douleur. C’était une stratégie pour le faire craquer, il avait eu du mal à résister. La langue familière avait elle aussi bien failli avoir raison de sa volonté. Mais les voix étaient plus dures que dans son souvenir. Beaucoup plus dures. Plus froides. Plus cruelles.

Svetlana parlait la même langue, mais sa voix à elle était si différente ! Elle promettait l’amour et confiait des secrets, elle avait été pour lui synonyme d’intimité et de serment. Elle avait même réussi à ressusciter la ville lumineuse. La ville qu’il avait quittée. Il n’avait jamais pu l’oublier, même lorsqu’il se trouvait dans un autre pays. Elle restait sa ville, une ville qui méritait un avenir meilleur. Et son pays lui aussi méritait un avenir meilleur.

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