Chapitre 1
Vous êtes ici pour découvrir la vérité sur cette nuit-là, n’est-ce pas ? Évidemment, vous pensez que je suis le seul à la connaître. Vous allez être déçu, rien de ce que j’ai vu n’a de sens… Rassurez-vous, je n’espère pas vous convaincre. Le piège est parfait. Il a tout prévu.
Ce soir-là, je me trouvais au milieu d’une scène de crime. Mais celle-ci avait quelque chose de spécial… Cet appartement de banlieue était très poussiéreux, mais j’avais vu pire en huit années dans la police scientifique. Ce cadavre était semblable aux autres. Et pourtant… Un sentiment familier me gênait. Connaissais-je cet homme ? Oui, c’était ça, son visage ne m’était pas étranger… Cette pièce non plus d’ailleurs. Chose exceptionnelle dans ma carrière, j’étais le premier sur les lieux, et je dois bien reconnaître qu’il m’a semblé étrange d’être sur place alors qu’aucun inspecteur n’était présent. Comment avait-on pu m’appeler si personne n’était encore arrivé ? Et ce visage, d’où le connaissais-je ? Je ne voulais pas m’attarder plus longtemps sur ce sentiment de « déjà-vu » ni sur l’étrangeté d’une telle situation, et me mis au travail. Comme à mon habitude, je commençai par identifier la cause de la mort et enregistrai mes observations sur bande magnétique. Pour une raison qui me semble désormais évidente, il me fut impossible de reproduire mes gestes quotidiens. Outre le sentiment désagréable de connaître la victime, je me sentais limité dans mes mouvements comme si une de mes mains était occupée à autre chose que d’obéir à ma volonté. Je déclenchai péniblement le dictaphone. « Rapport de l’agent scientifique Lucas Moriani. Je suis arrivé sur les lieux du crime à 23 h 15. La victime est un homme blanc de taille moyenne âgé de 30 à 35 ans. Le manque de rigidité indique que la mort remonte à moins d’une heure. La gorge de la victime a été tranchée par une petite lame très affûtée de type scalpel. Aucune trace de lutte. La porte n’a pas été fracturée, indiquant que la victime me connaissait. » Me connaissait ? Je fus pris d’un rire nerveux en m’entendant prononcer ce qui aurait pu passer pour un lapsus macabre… et un aveu devant un juge. Comment ce mort aurait-il pu me connaître ? Je pense avoir réalisé à ce moment précis ce qui se passait. La réalité me percuta de plein fouet. Je fis alors tomber le dictaphone sur le sol crasseux en comprenant soudain pourquoi ma main était engourdie : mes doigts crispés serraient jusqu’à la tétanie un scalpel couvert de sang, semblable à celui qui avait dû égorger la victime. La pièce vacilla autour de moi, et ce fut le trou noir.
Lorsque je me réveillai, le soleil ne s’était pas encore levé. Deux heures s’étaient écoulées. Je me levai, tant bien que mal, et fus pris de tremblements. J’essayai d’observer aussi calmement que possible la scène qui m’entourait. Nom de Dieu, mais qui était donc ce type et qu’est-ce que je faisais là ? Cette situation absurde me désignait comme le meurtrier. Pourquoi n’en avais-je alors aucun souvenir ? L’enchaînement des questions et surtout la perspective de certaines réponses me firent presque défaillir à nouveau. Je tentais de me ressaisir mais ne contrôlais pas mes tremblements. J’étais sous le choc : amnésique avec un cadavre sur les bras ! Difficile d’avoir l’air plus coupable… Je me mis à envisager différents scénarios pour me sortir d’affaire. Tout m’accusait et, déjà, je rassemblais mes idées pour m’en tirer ! La rapidité avec laquelle je parvins à retrouver mes esprits me surprit.
Extraits
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