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Comme d’une part les Anglais ne souhaitaient pas entrer dans la combine, et qu’ils étaient protégés depuis très longtemps du continent par une poignée de kilomètres de mer sur laquelle plein de gens n’avaient jamais voulu se mouiller, et comme, d’autre part, les Allemands qui souhaitaient les faire entrer quand même dans la combine s’étaient bricolé pour l’occasion des avions archiperformants et même des fusées superméchantes qui passèrent par-dessus la poignée de kilomètres de mer avec leurs millions de quintaux de bombes qu’ils sont allés expédier directement sur pas mal de villes anglaises qui ripostèrent avec la DCA, dans le ciel anglais ce fut pendant quelque temps des feux d’artifice mégaquadrichromiques alors qu’en bas, à l’arrivée des millions de quintaux de bombes allemandes, des superméchantes fusées et parfois des avions archiperformants qui s’étaient pris un obus anglais dans le ventre, on n’était pas à la fête et les villes anglaises qui ont été très durement touchées ont été reconstruites vite vite en 1945 parce que les paquets de ruines, ça va un moment, et on a reconstruit pas mal de quartiers en style 45, c’est-à-dire pas très drôle, assez géométrique, très standardisé, et surtout les banlieues parce que, depuis toujours, et pas seulement en Angleterre, c’est en banlieue qu’il y a les industries et que dans les guerres ce sont les industries qu’il faut paralyser même si, stratégiquement, un peu de bombardement de terreur sur les populations civiles ne peut faire de mal à personne. Et donc, il y a tout lieu de penser que la banlieue sud de Cambridge fut durement touchée dans les années quarante parce que tous les bâtiments sont construits à la mode de l’après-guerre c’est-à-dire pas très drôle, assez géométrique, très standardisée. Tout ça pour dire que le lieu où je vais vous emmener n’est pas très folichon.
I know where Syd Barrett lives
« Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu. »
Arthur Rimbaud, Une saison en enfer
« Quand je suis seul, je ne suis pas là. »
Maurice Blanchot, L’Espace littéraire
Ce lieu pas très folichon, c’est Cherry Hinton Road, dans la banlieue sud de Cambridge. Une large avenue sans charme, bordée de pavillons standard et de commerces de proximité. Trafic ininterrompu de voitures et camions venus d’ailleurs fuyant là-bas en file indienne. Pas d’âme, un ballet bruyant-mou de vies c’est-pas-une-vie. Sur les contre-allées, on peut croiser au choix, et même sans vraiment choisir, quelques retraités retour des commissions, de jeunes mères en jogging accrochées à la poussette sous laquelle s’empilent des paquets de couches, deux pour le prix d’un, de temps en temps un cadre-succursale, des cyclistes tous modèles. Et comme c’est le matin, et que nous sommes en Angleterre, on imagine que tout ce beau monde a le ventre plein de bacon-eggs-marmelade-scones-beans-saussage flottant dans un demi-litre de thé anglais. Pluie verglaçante, suburban sky. En gros, pas superdrôle.
Extraits
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