À Kyrus, qui insuffle de la magie dans notre vie quotidienne.
Exergue
D’où viens-tu ? lui ai-je demandé
Avec un sourire espiègle, elle m’a répondu
Pour moitié de l’est
Pour moitié de l’ouest
Je suis faite pour moitié d’eau et de terre
Pour moitié de cœur et d’âme
Je suis pour moitié sur le rivage
Pour moitié nichée dans une perle
Extrait du poème « Tu es ivre », de Jalal al-Din Muhammad Rumi, poète persan du XIIIe siècle
Chapitre premier
Dors, Obayda, d’ici à demain matin, tu auras tout oublié.
Le conseil de ma mère fonctionnait très bien pour la plupart des contrariétés : une dispute avec ma sœur, une mauvaise note, un accroc sur ma robe préférée. Mais il y a six mois, un événement terrible s’est produit, si terrible que sa sagesse ne m’a été, pour la première fois, d’aucune aide. Malgré tous mes efforts pour le chasser, le souvenir s’accroche, parce qu’un rappel cruel de ce jour funeste vit dans ma maison et que je suis sa fille.
J’aimerais me concentrer sur le doux visage de mon père, sur ses mains parfaitement intactes, mais rien n’y fait. Mon regard, immanquablement, glisse vers l’endroit où se trouvait sa jambe autrefois, et tout me revient brutalement en tête.
Au début du printemps, mon père m’a emmenée consulter un docteur. Mes parents étaient inquiets car je toussais depuis deux semaines et avais beaucoup de mal à avaler. Le médecin a examiné ma gorge douloureuse et posé un stéthoscope sur ma poitrine. Ensuite, il a tendu à mon père une ordonnance, avec une prescription d’antibiotiques. Sur le chemin du retour, mon père a décidé de passer par la pharmacie pour acheter les médicaments.
J’étais épuisée par le trajet. C’était le matin et mon père avait l’intention de partir au travail dans l’après-midi. Il a trouvé une chaise en plastique devant une boutique de vêtements et m’a demandé de l’attendre là. Je l’ai regardé longer les deux immeubles de la rue et entrer dans la pharmacie. Quand il en est sorti, il tenait un petit sachet en papier à la main. Il l’a levé en l’air et m’a adressé un sourire. Ces médicaments étaient pour moi et mon état était la seule raison de notre sortie ce jour-là. J’évite de trop penser à ce détail.
Une seconde plus tard, une voiture blanche s’est arrêtée devant la pharmacie et m’a bloqué la vue. J’ai attendu que mon père reparaisse.
La suite est un peu floue dans mon esprit. Je me souviens du bruit le plus assourdissant que j’aie jamais entendu. Je me souviens de la fumée, des cris, des gens qui couraient. Je me souviens des coups de Klaxon, des flammes, du fracas du verre. Je me souviens de m’être bouché les oreilles et d’être tombée par terre.
Je suis restée ainsi un long moment – à attendre que les bruits cessent.
Ensuite, j’ai levé la tête et cherché mon père du regard, mais là où je l’avais aperçu pour la dernière fois, il ne restait que la voiture. Son capot avait disparu et, à l’intérieur, il y avait une énorme boule de feu.
Extraits
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