INTRODUCTION
« Les joies de la création d’un film tiennent à l’imprévisibilité des relations interpersonnelles. À tout ce qui fait que nous sommes humains. Nos fragilités, nos contradictions, nos échecs, nos inadéquations.
C’est ça qui rend le processus merveilleusement exaltant. »
Ken Loach
Créer du désordre
Ce livre n’est pas uniquement un livre sur les films de Ken Loach, c’est aussi l’occasion d’explorer la vie d’un cinéaste qui se bat depuis des années pour construire une société équitable et plus juste.
J’ai passé deux jours à discuter avec Ken Loach dans une petite pièce chaleureuse, nichée au dernier étage des bureaux de Sixteen Films, plutôt bruyante et éclairée à la lumière naturelle. Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou, les fondateurs d’Indigène éditions et Florent Barat, qui a assuré la traduction française de cet ouvrage, étaient également présents. Une pièce à l’image du cinéaste. Sans artifices, sans maquillage, sans fioritures. Une pièce où l’on s’assoit, discute, rit, débat, crée, réfléchit et écoute. Une pièce qui en dit long sur cet homme considéré aujourd’hui comme l’un des plus importants réalisateurs européens et parmi les plus influents.
En effet, peu de cinéastes ont à ce point, et avec une telle constance, mis leurs convictions au service de leurs films, sans pour autant tomber dans la propagande. Mais en cherchant plutôt patiemment, film après film, à construire une esthétique de l’engagement capable de convaincre un large public, sensible à l’efficacité sans appel de l’art – même si ce mot, galvaudé dans nos sociétés utilitaristes, bute parfois sur les lèvres de Ken, minutieux ouvrier de la pellicule, de l’image, de la lumière et du son. Modeste, comme à son habitude, Ken n’était pas sûr que quiconque voudrait l’entendre ou le lire. Il nous livre pourtant un récit fort où la voix dominante n’est plus celle des puissants.
Au cours d’une carrière de plus de quarante ans, Ken Loach a reçu les prix les plus prestigieux dont la Palme d’or pour Le vent se lève, le César du meilleur film étranger pour Land and Freedom et Just a Kiss, ainsi qu’un Ours d’or d’honneur pour l’ensemble de son œuvre au Festival international du film de Berlin, en 2014.
Pour Ken Loach, il est essentiel de penser le cinéma comme un moyen de briser le récit des élites, des puissants, un moyen de contrecarrer la vision dichotomique du « nous » contre « eux », d’enrayer la stratégie du « diviser pour mieux régner ». Pour moi, activiste luttant pour la justice sociale, il fut exaltant de discuter politique avec Ken Loach. Ce fils d’électricien né en 1936 à Nuneaton, à quelque cent soixante kilomètres au nord-ouest de Londres, ne conçoit pas le cinéma et la politique comme des pratiques séparées, les deux sujets se mêlant au cours de la conversation sans transition et Ken soulignant sans cesse la différence primordiale entre « faire des films politiques » et « faire de la politique grâce au cinéma », ce qu’il fait depuis ses débuts.
Extraits
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