DREAMER WALLACE
1
Une propriété
Lorsqu’il sortit de la douche, rien n’avait changé.
Il était presque nu, comme toujours.
Son corps, pourtant alourdi par l’eau, semblait supporter le monde comme un poids plus léger et plus doux. Dreamer Wallace était heureux. Il quitta sa belle salle de bains blanche, envahie de lumière.
Il bâilla, puis se détendit.
Ouvrant son peignoir jaune souple et pelucheux, il s’allongea dans la salle de repos, un hexagone bleuté au toit légèrement convexe, qui esquissait derrière ses paupières déjà somnolentes un dôme rassurant et flou.
Quand il se réveilla, rien n’avait changé.
Dreamer Wallace sentit monter en lui une pointe de force et d’énergie, mais qui n’était fort heureusement la promesse d’aucune douleur à venir. Il l’employa à rouvrir les stores et musarder autour de sa large propriété. Tout tenait sa place à merveille. Quelle joie de marcher pieds nus sur ce parquet verni, couleur de vin, parmi l’odeur de lavande et de pin. Il se demanda s’il y avait de la poussière, mais une telle éventualité semblait proprement impossible.
Cette pensée sortit de son cerveau et elle n’y revint pas.
Les couloirs ressemblaient à des rêves tranquilles. On regrettait presque d’en sortir et de trouver un aboutissement à cette déambulation dans une coque de verre et d’acier protecteur. La disposition des pièces se chargeait de prévenir ce léger pincement au cœur. Les salles se repliaient toujours en forme de coquille d’escargot, permettant de ne jamais perdre de vue l’entrée depuis la sortie, au travers d’imposantes baies vitrées.
Parfois, la vitre paraissait parler et le culpabiliser. « Tu ne sors pas, tu ne fais rien. »
Dreamer Wallace savait comment réagir. Il partait dans sa chambre, à pas comptés mais le cœur battant.
Sa chambre était un printemps. Le lit s’offrait comme une fleur et tous les murs, tous les meubles frémissaient à la manière de beaux et grands arbres blancs alentour.
Il ouvrit la petite Console de bois posée au sol dans un coin d’ombre, tout en pensant à ce que lui avait murmuré la fenêtre. Dreamer tremblait, saisissait l’une des cordelettes situées à l’intérieur de la Console, puis il respirait, refermant le couvercle avec précaution.
Quelle belle journée. Il aurait volontiers pris une douche. Non qu’il se sentît sale, mais pour le plaisir simple de l’eau, des gouttelettes, de la buée et de l’intense engourdissement de son être tout entier.
Dreamer Wallace laissait le soleil réchauffer son crâne, allongé sur la chaise longue, au bout du promontoire d’acajou monté sur pilotis, au sud de la propriété. Il n’avait pas de cheveux, protégé par un auvent et un toit minutieusement tressé. Et quand son corps lui semblait sec, il se relevait, ses doigts défroissant avec soin la chemise large et épaisse qui lui caressait le torse et les épaules.
Il marchait.
La main sur la rambarde, la paume massée par la matière caoutchouteuse, Dreamer contemplait à l’air libre le parfait gazon vert de mai ou vert de jade qui formait autour des bosquets jaunes et des rocs au dos lisse et gris une mer duveteuse, striée délicatement puis s’estompant jusqu’à des courbes marécageuses aux limites de ses terres, sous le ciel bleu.
Extraits
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