Morphine, bistouri et autres emmerdements

Longtemps, je me suis couché fâché... Je m'appelle Denis. J'ai cinquante ans et je suis chirurgien. Ma jeunesse a baigné dans le sordide. Après une enfance agitée, mon aîné Bruno et moi-même avons découvert les toxiques, alors encouragés par notre entourage, notre époque, comme par une petite musique héritée de nos anciens. Mon frère a poursuivi, gueule ouverte, dans la plus noire désespérance, s'acharnant à s'infliger la souffrance. Il n'a songé à s'apaiser qu'après la quarantaine, passés les délires, la prison et l'isolement chez les fous. Je n'ai pas été beaucoup plus clairvoyant. J'ai couru l'Asie et son héroïne, je me suis perdu dans les méandres du Népal "encombré" d'un pédophile, j'ai côtoyé les seringues et les vendeurs de came. La médecine a été ma rédemption, mais en partie seulement, car j'ai mené deux existences parallèles, celle du toxico et celle du sage étudiant père de famille. Toutes deux se sont télescopées. A vingt-sept ans, interne, je pillais les armoires à pharmacie... La brigade m'a rattrapé, implacable... Je me suis relevé lentement et j'ai suivi un parcours de bourgeois tracassé. J'étais sevré de longue date lorsque Bruno a été frappé par le plus éprouvant des cancers. Quand son heure a sonné, nous abordions les prémices de nos retrouvailles et nous nous redécouvrions frères. J'ai alors renoué avec les tourments de l'enfer.