#Roman étranger

A l'aide, Jacques Cousteau

Gil Adamson

Dans ce livre, Gil Adamson propose treize nouvelles au fil desquelles elle nous fait partager des moments de la vie de la jeune Hazel, entre son enfance et son entrée dans l'âge adulte. On la voit, aux côtés de son frère Andrew, évoluer au sein d'une famille pour le moins étrange : le père entreprend de refaire l'installation électrique de toute la maison ; le frère ne s'exprime qu'en prononçant des aphorismes surréalistes et lit avec passion le programme de la télévision comme s'il s'agissait d'un roman ; la mère est merveilleuse en apparence mais demeure un mystère pour sa fille et son mari. Hazel les observe et s'inquiète. Elle décrit l'hypocrisie qui règne au cours des réunions familiales, la torture que représente pour elle les mariages auxquels on lui demande d'assister, les humiliations typiques de l'enfance et de l'adolescence, la détestation qu'elle éprouve pour l'école, l'amertume qu'il est courant mais toujours pénible de cultiver à l'égard des membres de sa famille et un sentiment de malaise sous-jacent qu'elle éprouve en permanence. Les péripéties de Hazel, à la fois étranges et parfaitement crédibles, mettent en scène un panel varié des membres d'une même famille, tous différents mais unis par une tendance commune à un comportement excentrique. Dans ce fascinant portrait d'une famille dysfonctionnelle transmis par la voix unique de cette jeune fille, Gil Adamson démontre sa maîtrise d'une écriture unique qui combine une attention au détail, un sens de l'humour grinçant et une poésie tant dans le choix des mots que des images.

Par Gil Adamson
Chez Christian Bourgois Editeur

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Genre

Littérature étrangère

Le Lakemba

Je vois le long et lourd canapé glisser sans bruit sur le linoléum et je l’esquive d’un pas de côté. Le ciel que j’aperçois par la fenêtre est gris et la plupart des passagers réunis dans le salon sont verts. Le canapé heurte le mur, s’arrête comme pour faire le point et repart à la dérive. Ma mère lève les yeux, les joues rouge vif. Au-dessus de sa tête, une lampe s’incline avec sollicitude.

Elle constate que je suis indemne et replonge le nez dans son livre: Le Quatuor d’Alexandrie. Dans sa tête, une fabuleuse bibliothèque brûle. Des pages en vélin s’envolent par la fenêtre et la brise les emporte vers le large. Ma mère est amoureuse de Balthazar. La lampe se penche ensuite vers la femme assise à côté d’elle, dans l’espoir, dirait-on, de voir ce qu’elle lit. Je regarde le canapé qui revient. Un canard en plastique sur roulettes se retrouve en travers de son chemin et, avec un couinement étouffé, se fait écrabouiller contre le mur.

Partis d’Australie, nous rentrons au bercail à bord d’un navire appelé le Lakemba et bientôt nous franchirons l’équateur. Sur le pont, le soleil tape. Les transats sont retenus au sol par des sangles, la mer se soulève et s’affaisse, forme par rapport au pont un angle vertigineux. À califourchon sur un cheval en plastique, je lève les pieds. Je glisse vers ma mère. Son visage se redresse, enflammé et juvénile et avide de Balthazar.

—Oh, Hazel, ma chérie! dit-elle en tendant vers moi une main fine.

Mais je m’éloigne de nouveau avec les tables, les chaises, d’autres enfants et le canapé de près de trois mètres, chacun suivant son orbite paresseuse.

—Tu as chaud? Il fait si chaud, dit ma mère en clignant des yeux. Reviens.

Et nous attendons toutes deux que je revienne.

On nous a dit que cela pourrait être bien pire. Mais c’est aujourd’hui la quatrième journée de mauvais temps et, de toute façon, je commence à m’y habituer. Ma mère se fait du souci pour moi, car elle n’a pas encore d’autres enfants au sujet desquels s’inquiéter. Mais je vais bien. Ma seule crainte, c’est d’aller dormir: la nuit sans lune, le mur affolé qui ne cesse de bouger à côté de ma couchette.

 

 

C’est la nuit et nous sommes à huit jours de Vancouver, le paquebot erre toujours dans le noir et rien nulle part n’indique qu’il ne s’agit pas d’un rêve. Au-dessus des ponts supérieurs festonnés de petites ampoules, des mâts et des antennes, ainsi que d’autres étranges filins, tuyaux et conduites reniflent la nuit. Les lumières tracent le contour du bateau. Sous les projecteurs, le pont peint en blanc fait penser à une scène déserte. À l’occasion, une femme ou bien un matelot en uniforme blanc fripé passe en chancelant. À minuit, le capitaine défile, une femme accrochée à chaque bras. Il marche sans dévier de sa course, comme si une force magnétique le retenait au pont en métal qui tangue. Ma mère, incapable de fermer l’œil, regarde par le hublot de notre cabine et voit passer le trio : un homme et deux drapeaux féminins battant dans le vent nocturne.

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trad. Lori Saint-Martin, Paul Gagné
02/02/2012 168 pages 13,00 €
Scannez le code barre 9782267022858
9782267022858
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