#Essais

A quoi pensent les chinois en regardant Mona Lisa ?

Christine Cayol, Hongmiao Wu

A quoi pensent les Chinois lorsqu'ils découvrent au Louvre ce que nous considérons comme nos chefs d'oeuvre ? Qu'y voient-ils ? Que pensent-ils de nous ? De notre culture ? Ces oeuvres occidentales occupent tellement notre espace visuel et nourrissent notre perception du monde d'une façon si prégnante, que nous les considérons comme nos oeuvres, nous qui sommes habités par elles, sans même les avoir vues, et qui les avons si souvent regardées que nous ne les voyons plus. Partant de ce constat, l'auteure propose à un intellectuel de culture et de sensibilité différente, un chinois, d'appréhender des oeuvres phares de l'art occidental. Ainsi la peinture de la religion à travers Giotto, Fra-Angelico, Botticelli, de la société par Van Eyck Holbein, Metsys, Dürer, de la psychologie humaine à travers Le Caravage, Vinci, Rubens ou Picasso, sont examinés avec un regard neuf qui les irrigue d'un sens plus large. En prenant comme compagnons de voyage ces tableaux de la peinture occidentale, Christine Cayol et le professeur Wu interrogent leurs représentations du monde respectives, en particulier les notions de liberté, de pouvoir, de transcendance, des femmes, du rôle de l'artiste et, bien sûr d'expérience esthétique. L'art devient prétexte pour jeter des passerelles entre deux civilisations qui se méconnaissent et pour confronter de Paris à Pékin deux modes de pensées.

Par Christine Cayol, Hongmiao Wu
Chez Editions Tallandier

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Genre

Sociologie

 

 

3. À QUOI PENSENT LES CHINOIS DEVANT MONA LISA ?

p149-155

 

 

W : Voyez-vous, c’est le genre de tableau (Les

Époux Arnolfini par J. Van Eyck) sur lequel je ne

m’arrêterais jamais sauf si le guide ne m’y invitait

en me disant qu’il s’agit d’un de vos chefsd’oeuvre.

Mais, franchement, je n’y vois rien qui

attire mon regard ou ma pensée. Nous nous trouvons

devant un homme qui a l’air terrible, plus terrifiant

encore que le chancelier Rolin, et une

femme dont le ventre laisse supposer qu’elle

attend un enfant. Alors peut-être s’agit-il encore

un fois de la Vierge Marie rendant visite à un bourgeois

enrichi ?

 

CC : En effet, ce tableau n’a rien d’évident. Moi-même,

j’ai appris à en saisir la beauté lorsqu’un de

mes professeurs de Lettres supérieures m’en a

révélé le sens. Avant, j’étais comme vous devant

l’image, bouche close, regard distrait.

 

W : D’où la nécessité de regarder « ensemble ».

Je m’aperçois en effet que le regard comme la

parole a besoin de l’autre pour avancer. Vous avez
eu la chance d’avoir un professeur du regard ! Ces
personnages sur ce tableau ont l’air si triste… On
dirait pourtant qu’ils sont chez eux. J’y retrouve le
lit rouge dont nous avons déjà parlé.

 

CC : Le couple s’appelle Arnolfini. Giovanno

Arnolfini, riche commerçant qui a fait fortune dans

le commerce des draps ; il est accompagné de sa

femme, revêtue, dans un style gothique, de ses plus

beaux atours. Elle n’attend pas encore d’enfant, mais

la mode à l’époque fait remonter les robes juste en

dessous des seins, ce qui produisait l’effet d’un ventre

portant la vie. C’était sans aucun doute de bon

augure pour les mariages. Car nous avons bien affaire

à une union non plus entre Dieu et l’humain, mais

entre ces deux personnages que vous observez.

La conquête de l’individu

ou la fusion avec la nature ?

 

W : Pourquoi cette posture ? Ils n’ont pas l’air

très heureux de leur mariage.

 

CC : Ils nous regardent et « posent » de manière

un peu raide, il est vrai. En tant que Chinois vous

êtes bien placé pour savoir ce que cela signifie.

Quand vous vous prenez en photo, vous pratiquez

la pose et la cultivez avec soin et, qui plus est, vous

ne souriez pas beaucoup non plus.

 

W : C’est parce qu’il s’agit de consigner un instant

important. Même lorsque nous faisons du tourisme,

en famille ou avec des amis, nos photos

gardent une connotation officielle, elles attestent

que nous avons été présents en tel lieu, à tel

moment, elles nous relient à l’événement. Ce rituel

des photos qui peut vous sembler un peu naïf comporte

un sens très profond. Il ne s’agit pas tant de

montrer notre visage que d’attester de notre présence

sur un lieu important, avec des gens qui

comptent.

 

CC : Ici il s’agit de la même chose : le tableau

atteste d’une union devant Dieu et devant les

hommes. C’est la raison pour laquelle ils se tiennent

par la main. La tradition voulait que les époux

s’engagent main droite dans la main droite, mais

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18/10/2012 262 pages 19,90 €
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