#Roman francophone

Acouphènes

Géraldine Maillet

" Des bruits. Ni ma voix, ni mon rire, mais des sons insupportables, parasites, bourdonnements, crissements, bruits de cascades, d'éboulements, de moteurs. Des acouphènes. Des sons inventés par l'oreille. En permanence, jour et nuit, et encore plus quand elle ferme les yeux. Je n'ose pas demander à maman ce qu'elle ressent. J'ai cherché dans le dictionnaire. Acouphènes : "Sensation auditive perçue en l'absence de tout stimulus extérieur." Faux bruits, fausse blonde, faux bijoux. Une maman en toc, une fille en miettes. " G. M. Un matin, la mère de Géraldine se réveille sourde, avec des bruits plein la tête. Seul espoir, la cortisone, mais le traitement la rend obèse. Pour Géraldine, enfant unique délaissée par son père, c'est le début d'une adolescence difficile. Comment s'épanouir, partagée entre l'envie de protéger une mère qu'elle admire et la haine envers cette femme qui l'ignore et lui fait honte ?

Par Géraldine Maillet
Chez Flammarion

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Editeur

Flammarion

Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

1

 

 

 

Maman ne m’embrasse pas. Elle s’assoit dans le canapé.

Les mains tendues vers elle, je l’implore.

Maman est déjà dans ses livres.

Je pleure. Elle demande le silence.

Je braille, elle crie.

Papi accourt, me réconforte. Il répète que ma mère sera un grand docteur, que je serai fière. On longe le couloir sur la pointe des pieds, Mamie regarde Papi sans rien dire et ferme toutes les portes.

 

Le calme est revenu.

Mamie me fait goûter, Papi lit le journal. Quand il tourne la page, il me sourit.

Maman reste dans le salon. Pour étudier, encore. Il ne faut pas la déranger.

Je l’attends.

 

On sonne. Papi et Mamie sursautent.

Mon père, pressé et affamé. Il commence à manger avant tout le monde. Sa chemise a-t-elle été repassée ? Son pantalon lavé ? Mamie se précipite avec le cintre.

Maman nous rejoint, elle a les yeux cernés. Mon père lui dit qu’elle a une tête effroyable, qu’elle pourrait s’arranger un peu. Je hurle. Papi me serre contre lui.

 

Maman est en retard pour sa garde. Elle ne finit pas son assiette, elle part sans un baiser.

Mon père se change et disparaît en claquant la porte.

 

Je n’ai pas sommeil.

Mamie me borde. Papi me raconte une histoire qui se termine bien.

 

 

 

 

 

 

2

 

 

 

On déménage près du gymnase. Un deux-pièces au dernier étage. Vue sur le parking et le stade de rugby. Papi et Mamie nous prêtent un canapé-lit, des couvertures, de la vaisselle.

Je préférais quand on vivait tous ensemble.

 

Maman est assise dans la cuisine, le front appuyé dans sa main. Elle parle fort, calcification du métatarse, valvules sigmoïdes, arthrose apophysaire. Elle se lève, récapitule avec de grands gestes. Maman est impressionnante.

Je l’admire.

 

Mon père passe en coup de vent. Il a besoin de ses baskets. Il rentrera tard. D’ailleurs, il n’est même pas sûr de rentrer. Maman ne lui répond pas, elle n’a pas de temps à perdre.

Il est déjà parti.

 

 

 

 

 

 

3

 

 

 

Mon père est fou de rage. Il redouble sa troisième année de médecine. Maman le réconforte. Il éclate de rire, s’enferme dans la salle de bains.

Maman replonge dans ses livres. J’entends des pleurs. Je m’approche d’elle. Un bisou sur sa main. Elle ne le sent pas.

C’est ma faute si elle est malheureuse. Je suis née trop tôt, j’ai déformé ses rêves. Elle regrette. Elle imaginait la vie autrement.

 

Mon père surgit, trempé, une serviette nouée autour de la taille. Il allume la radio.

Maman se lève, arrache la prise. Il l’insulte. Je pique une crise. Maman me gifle.

Un jour, je serai fière.

 

 

 

 

 

 

4

 

 

 

Je retourne dans l’appartement de mes grands-parents.

Le soir, Maman et mon père viennent dîner. Ils n’arrivent pas ensemble, ils se parlent à peine.

Mon père se vante parce que Nougaro l’a invité à son concert. Depuis qu’il l’a dépanné, l’autre jour, place Wilson, il est devenu mélomane. Papi reste silencieux. Mon père s’énerve. La viande est trop cuite à son goût.

Maman me prend dans ses bras. Elle est tellement jolie. Elle me souhaite une bonne nuit. Des mots vite dits, si vite, elle doit partir. Je ris pour qu’elle garde un bon souvenir de moi et qu’elle revienne bientôt.

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24/02/2005 164 pages 15,30 €
Scannez le code barre 9782080687364
9782080687364
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