Genre
Histoire internationale
Préface
Azim Naim
Tout au long de l’histoire récente de l’Afghanistan, la route menant à la passe de Khyber a été empruntée par les armées du monde pour s’enfoncer dans les paysages arides peuplés par ces guerriers pour lesquels la mort au combat est un privilège, récompensée dans l’au-delà. La passe de Khyber, au milieu des grands replis des monts escarpés de l’Indou Kouch, sépare le peuple Pachtoune entre l’Afghanistan et le Pakistan. On nous enseignait à Kaboul dans ma jeunesse que, dans ces vallées, gisaient déjà treize mille soldats de sa majesté la reine Victoria, l’impératrice des Indes.
Le sentiment national était renforcé par les poèmes épiques chantant la bravoure de ces va-nu-pieds Pachtounes farouchement attachés à leur indépendance et à leur mode de vie. Les mêmes refrains sont aujourd’hui chantés en chœur par les talibans…
Les Pachtounes ont dominé la vie politique en Afghanistan depuis le milieu du XVIIIe siècle, jusqu’à ce que le pays ploie sous la férule soviétique. Une nouvelle fois, le sol afghan était foulé par des conquérants qui ne comprenaient rien à son âme. En décembre 1979, plus de cent mille soldats bardés d’étoiles rouges verrouillaient le pays pour le protéger d’un éventuel danger fomenté par les impérialistes américains, pakistanais et chinois. Nous nous sommes réveillés cette nuit de Noël 1979 avec un feu d’artifice à balles réelles, et l’aube rendait insupportable le visage ensanglanté de notre ville. Le sang coulait à flot et les thuriféraires du régime communiste mis en place annonçaient le début d’une ère nouvelle, promettant la prospérité pour l’éternité.
À cette opulence rêvée s’est substitué un abîme profond dans lequel s’engouffrèrent à nouveau, quelques années après, plus de cent mille soldats de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) sous l’égide des États-Unis d’Amérique, afin de pourchasser les talibans.
Ces hérauts enturbannés ont jailli des cendres de mon pays en ruine. Ils avaient en haine le souffle de la vie. Ils jugulaient les passions et muselaient la vie dans toutes les expressions qui la rendaient agréable. Le rire, le jeu, la musique et la poésie étaient bannis, et toute joie devait être extirpée de la société.
La femme afghane, honnie, exclue de l’espace public, devait se soumettre à une ère de tyrannie théocratique où les exécutions publiques devaient servir d’exemple pour extirper le vice et régénérer la vertu dans le corps social. Plusieurs d’entre elles orneront d’infâmes piloris pour inspirer et imposer la terreur jusque dans les consciences. Et pourtant, l’avènement des talibans sur la scène afghane en 1996 n’a d’abord guère suscité d’inquiétude. Tout au plus, le mouvement taliban était-il considéré par le département d’État américain comme fondamentaliste et refusant la modernité, mais capable d’œuvrer pour la stabilité du pays.
Extraits
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