PREMIÈRE PARTIE
SUR LA TRACE DES JIHADISTES FRANÇAIS
En haut la chaîne alimentaire
Beaucoup de livres ont été publiés sur le sujet. Malheureusement, la pauvreté des informations qu’ils contiennent s’explique par une approche trop prudente et trop superficielle de ces réseaux. Pour parler sérieusement des jihadistes français en Syrie et de la menace qu’ils représentent, il ne suffit pas de faire le tour des mosquées salafistes de notre pays, ou de recueillir des informations invérifiables à la frontière turque, loin des combats. Pour mener une enquête sérieuse, il faut infiltrer les groupes d’Al-Qaïda en Syrie. Pénétrer au cœur de la guerre, dans les entrailles de ce conflit, pour côtoyer les volontaires français au quotidien, sous les bombes et dans leurs brigades. Un travail extrêmement dangereux et difficile. Mais sans lequel il est impossible d’écrire une seule ligne crédible à leur sujet.
D’expérience, je sais que les amitiés les plus solides se nouent dans les zones de guerre, lorsqu’on risque sa vie côte à côte. Les barrières de la race, de la langue et même de la religion s’effondrent comme un château de cartes, lorsque les obus pleuvent et transforment votre quotidien en enfer. La plupart de ces hommes ne sont pas des combattants aguerris. Juste de jeunes volontaires un peu naïfs ou fanfarons, plongés dans un environnement hostile, très loin du confort occidental qui les berce depuis leur enfance. Trouver quelqu’un qui parle la même langue et qui partage les mêmes conditions de vie resserre rapidement les liens et incite à la confidence. Si je dois nouer des relations solides avec nos guerriers de l’islam « made in France », ce sera en Syrie. Pas en Seine-Saint-Denis ou à Marseille…
Pourquoi choisir les brigades d’Al-Qaïda en particulier ? Plusieurs raisons : d’abord, les combattants étrangers se dirigent toujours vers les formations religieuses. Ensuite, dans la longue chaîne alimentaire des groupes salafistes qui combattent en Syrie, cette organisation tient le haut du pavé. En côtoyant une petite brigade radicale, je ne disposerai d’aucun accès aux combattants de Jabhat al-Nosra, ou de l’État islamique en Irak et au Cham, autrement dit les Dayesh, les deux principaux groupes considérés comme « terroristes » par l’Occident, qui règnent sur toute la mouvance salafiste en Syrie. En revanche, si je parviens à me faire accepter dans l’une de ces deux organisations, j’obtiendrai carte blanche pour évoluer à ma guise au sein des groupes plus petits.
Je dispose de nombreuses options pour entrer en contact avec eux. Mais les risques de kidnapping m’incitent à la prudence. La première consiste à passer par l’Irak. Je possède des contacts solides à Bagdad, qui pourraient peut-être m’introduire auprès des brigades syriennes.
Mais ce pays constitue aujourd’hui un véritable nid de frelons, où les alliances deviennent aussi éphémères qu’imprévisibles. Les émirs locaux obéissent de façon toute relative aux ordres qu’ils reçoivent : obtenir l’accord d’un cadre irakien, à Falloujah ou à Ramadi, ne garantit pas ma sécurité chez un commandant de la même organisation à Idlib ou à Alep, en Syrie. Je vais donc explorer d’autres pistes, en considérant l’option irakienne comme un dernier recours…
Extraits
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