#Polar

Arab jazz

Karim Miské

Dans le 19e arrondissement de Paris toutes les communautés, religieuses et ethniques, se côtoient au quotidien. Sushis casher, kebabs, restaurant turc - point de ralliement de tous les jeunes du coin -, librairie d'occasion farcie de romans policiers jusqu'au plafond, coiffeur juif...Seul Ahmed Taroudant - qui a l'horrible privilège de découvrir le corps sanguinolent de sa voisine et amie, Laura Vignola, suspendu au-dessus de son balcon - se tient à distance de cette population cosmopolite : prisonnier d'une histoire personnelle traumatisante, rêveur, lecteur fou de polars... Il constitue le coupable idéal de ce crime abominable. Sa découverte l'oblige à sortir de sa torpeur et à collaborer avec le duo de la Crim' désigné par le commissaire Mercator pour mener l'enquête sur le meurtre : le flamboyant lieutenant Rachel Kufstein et le torturé lieutenant Jean Hamelot, fils d'un Breton communiste rationaliste, quelque peu égaré dans la capitale. Ensemble, ils ont toutes les cartes pour décrypter les signes et symboles de cette mort ignoble. S'agit-il d'un meurtre symbolique exécuté par un fou de Dieu issu des communautés loubavitch ou salafiste ? Qu'en est-il de l'étrange famille de Laura, originaire de Niort, qui étend son influence jusqu'à New York ? Et de l'apparition dans le quartier du "Godzwill" une nouvelle drogue redoutable ? La collaboration des meilleures amies de la victime, Bintou et Aïcha (les soeurs des caïds du quartier), Rebecca - partie à Brooklyn dans l'intention d'épouser un Juif orthodoxe -, avec les lieutenants Kupferstein et Hamelot se révélera indispensable pour reconstituer la toile d'araignée gigantesque qui, de Paris à New York, tire ses fils entre réseaux de trafics de drogue et communautés religieuses...Arab Jazz, foisonnant, pétri de sons, de musiques et de parfums, est le premier roman de l'auteur : il en a fait un coup de maître.

Par Karim Miské
Chez Editions Viviane Hamy

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Genre

Thrillers

Ahmed regarde les nuages dans le ciel, les nuages qui flottent là-bas, les merveilleux nuages. 

Ahmed aime la poésie, pourtant il n’en connaît plus que des bribes qui lui reviennent fugitivement telles des bulles à la surface de l’âme. Souvent les vers arrivent seuls, sans auteur ni titre. Ici, ça lui évoque Baudelaire, une histoire d’étranger, de liberté, un truc anglais. C’était son auteur préféré, Baudelaire, à l’époque, avec Van Gogh et Artaud. Et puis il y avait eu Debord. Et puis il avait cessé de lire. Enfin, presque. Aujourd’hui il achète Le Parisien les matins où il descend. Et quantité de polars industriels angloaméricains : Connely, Cornwell, Cobain. À de rares exceptions près, les noms se mélangent dans sa tête, tant il a le sentiment de lire le même roman. Et c’est cela qu’il recherche. S’oublier en absorbant l’entièreté du monde dans un récit ininterrompu écrit par d’autres. 

Il se fournit à la librairie d’occasion de la rue Petit. Une minuscule boutique du temps d’avant qui a étrangement survécu entre le complexe scolaire loubavitch, la salle de prière salafiste et l’église évangélique. Peut-être parce que M. Paul, un vieil anarchiste arménien, ne rentre dans aucune des catégories d’illuminés qui se partagent désormais le quartier. Et puis il vend sa littérature profane au poids, ce qui le rapproche plus de l’épicier que du dealer de livres shaïtaniques. De temps en temps, le libraire ajoute un ouvrage à la pile sans rien dire. Ellroy, Tosches, un Manchette inédit. Ahmed cligne très légèrement des yeux. Reconnaissant envers son fournisseur de ne pas le laisser sombrer totalement. De ces auteurs, il se souvient. 

Aujourd’hui il n’est pas descendu. Il lui reste une baguette au congélateur, un paquet de tortellini au jambon, une quiche saumon-épinards, assez de beurre pour trois tartines, un reste de confiture de fraises confectionnée par la voisine du dessus, Laura, qu’il aurait désirée s’il savait encore désirer, un pack d’Évian, une plaquette de chocolat noir aux noisettes Ivoria, cinq Tsingtao soixante-six centilitres, une demi-bouteille de William Lawson soixante-quinze centilitres, trois bouteilles de vin – rouge, rosé, monbazillac – et six canettes de bière sans alcool Almaza, lâchement abandonnées par son cousin Mohamed avant son départ pour Bordeaux huit mois plus tôt. Sans oublier un paquet de Tuc, la moitié d’une saucisse sèche, les deux tiers d’un valençay, sept crackers, un demi-litre de lait écrémé et un fond de muesli Leader Price. Plus, bien sûr, la boîte de thé vert Gunpowder et celle de Malongo percolatore. De quoi tenir jusqu’à l’épuisement des trois kilos sept de bouquins achetés la veille à M. Paul. 

Pour l’heure, Ahmed rêve. Il regarde les merveilleux nuages de l’heure du thé et il rêve. Son esprit quitte ce quartier dans lequel il a cessé de vivre depuis cinq ans déjà. Le détachement auquel il aspirait alors approche. Regarder les nuages, lire, dormir et boire le soir venu. Peu à peu, il est parvenu à décrocher de la télévision, des écrans. Les livres colonisent son esprit, il le sait, mais lui sont encore nécessaires. Trop tôt pour qu’Ahmed affronte seul ses démons. Les horreurs des autres, l’imagination malade des autres lui permettent de contenir les monstres tapis dans le fond de son crâne. 

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15/03/2012 298 pages 18,00 €
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