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Genre
Littérature étrangère
Père ! Père !
- Père ! Père !
Non, ce n’est pas sa voix, c’est un autre enfant...
Le cri du gamin réveille brusquement le président. Un étour- dissement le saisit, comme s’il avait reçu un coup sur la tête.
Le cri provient du fond de la vallée, se répercutant sur les parois rocheuses, secouant les arbres, déferlant telles des vagues invisibles dans l’espace silencieux.
Égaré une fraction de seconde, il reprend ses esprits :
La douleur dans sa nuque, ainsi que son désarroi, se dissipe lentement. Le président se lève, sort de sa chambre.
Il s’adresse au soldat en faction :
- Que se passe-t-il ?
- Peut-être un accident dans la vallée, président... Quelqu’un a
dû tomber du haut de la falaise.
La sirène d’alarme de la garnison, située en bas de la vallée, se
met à hurler. Il n’y a pas un souffle de vent. Remue-ménage des soldats partant à la rescousse.
- Père ! Père !
- Père ! Au secours ! À l’aide ! Mon père est tombé.
Appel affolé du garçon. Un appel d’adolescent qui dénote à la fois l’innocence et le début de l’âge adulte. Dans cette voix, il sent vibrer intensément le lien d’amour entre un fils et son père. Tout se télescope dans cet appel désespéré : les années de vie dans le cocon familial, leurs attaches invisibles, la douleur de la brutale séparation et la stupeur devant un futur inconnu.
Les pensées s’entrechoquent dans la tête du président.
Il doit avoir le même âge. Même âge mais moins de chance.
Son fils. Le fils qu’il a voulu oublier sans jamais y parvenir. Le fils dont il s’était éloigné mais qui est revenu habiter son cœur, un lieu sûr pour l’enfant, mais dangereux pour lui. Là où il s’est réfugié, son image ne cesse de l’obséder et elle est devenue l’objet d’un remords alimentant le feu de son enfer, le consumant chaque jour.
À qui peut-il ressembler maintenant ? À elle ou à moi ? Il doit être beau garçon.
Silence.
Dans sa mémoire, le petit, âgé d’à peine six mois, ressem- blait déjà à sa grande sœur. Le nez, la bouche, l’air serein quand il riait, des cheveux fournis aux tempes et sur le front. Puis de sept mois à un an, l’enfant s’était métamorphosé pour ressembler étran- gement à sa mère. Ce changement les avait beaucoup surpris. Même Dông, la sœur aînée de son épouse, en avait été sidérée. Dông, une femme admirable, qui avait pris soin de son petit neveu après avoir élevé sa sœur.
C’est déjà un adolescent. Comme le temps passe vite.
Oubliant la présence de son garde du corps, debout à ses côtés, il soupire.
- Président ? Vous avez des instructions ?
- Instructions ? demande-t-il, un peu surpris. Vous avez vu ? Les soldats sont partis à leur secours. Et nous ? Nous restons plantés ici, inutiles...
- Président...
Le soldat est sur le point de dire quelque chose mais se tait, soudain tout rouge. Il recule, l’air embarrassé et déconcerté. Le président prend conscience de sa maladresse.
Extraits
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