#Roman étranger

Au zénith

Thu Huong Duong

Au Zénith est le chef-d'oeuvre de Duong Thu Huong : voici un roman qu'elle portait en elle depuis plus de dix ans, où convergent son combat politique et son talent littéraire. En 1953, le président - c'est ainsi que l'auteur le nomme, mais on comprend très vite qu'il s'agit de Ho Chi Minh - tombe éperdument amoureux, à plus de soixante ans, d'une très jeune femme. Avec elle, il fonde une famille, qu'il installe à Hanoi dès la reconquête de la capitale. Mais il n'est pas un homme ordinaire, il est le père de la nation, et quand lui vient le souhait d'officialiser son union, les ministres, dont il a favorisé l'ascension, lui font valoir que cette affaire privée le ferait descendre de son piédestal politique. Le président cède, croyant choisir une légitime raison d'État. De ce jour, sa vie bascule. Sa jeune compagne est assassinée, ses enfants recueillis par des proches, et le pouvoir effectif lui échappe : cachés derrière sa figure tutélaire, ses anciens compagnons construisent un régime dont les fondements sont bien éloignés des combats de leur jeunesse commune. Pour donner toute sa mesure à ce drame intime et politique, l'écrivain déploie une construction romanesque époustouflante, juxtaposant quatre points de vue narratifs. Celui du président qui, à la fin de sa vie, pendant la guerre contre les Américains, avec pour seuls compagnons les soldats qui le surveillent et les bonzesses de la pagode voisine, tente d'éclairer les méandres de son propre parcours. Celui de son meilleur ami, Vu, qui élève son fils, et dont la propre femme, une ancienne révolutionnaire pure et dure comme lui, symbolise désormais la corruption au pouvoir. Parenthèse bucolique et contrepoint à l'intrigue principale : Duong Thu Huong raconte comment un vieil homme respecté dans son Village des bûcherons est parvenu, non sans difficultés, à imposer son union avec une femme de quarante ans plus jeune que lui. Dernier point de vue : celui du beau-frère de la jeune épouse sacrifiée. Fou de douleur, ce Compatriote inconnu ne survit que pour se venger. Au long de cette fresque impressionnante, l'écrivain - héraut des idéaux bafoués que le président a portés jusqu'au bout - élucide, sans jamais porter de jugement, un destin d'autant plus tragique qu'il s'est joué d'un être bien réel et maître du pouvoir.

Par Thu Huong Duong
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature étrangère

Père ! Père !

- Père ! Père !

Non, ce n’est pas sa voix, c’est un autre enfant...

Le cri du gamin réveille brusquement le président. Un étour- dissement le saisit, comme s’il avait reçu un coup sur la tête.

Le cri provient du fond de la vallée, se répercutant sur les parois rocheuses, secouant les arbres, déferlant telles des vagues invisibles dans l’espace silencieux.

Égaré une fraction de seconde, il reprend ses esprits :

La douleur dans sa nuque, ainsi que son désarroi, se dissipe lentement. Le président se lève, sort de sa chambre.

Il s’adresse au soldat en faction :
- Que se passe-t-il ?
- Peut-être un accident dans la vallée, président... Quelqu’un a

dû tomber du haut de la falaise.
La sirène d’alarme de la garnison, située en bas de la vallée, se

met à hurler. Il n’y a pas un souffle de vent. Remue-ménage des soldats partant à la rescousse.

- Père ! Père ! 

- Père ! Au secours ! À l’aide ! Mon père est tombé. 

Appel affolé du garçon. Un appel d’adolescent qui dénote à la fois l’innocence et le début de l’âge adulte. Dans cette voix, il sent vibrer intensément le lien d’amour entre un fils et son père. Tout se télescope dans cet appel désespéré : les années de vie dans le cocon familial, leurs attaches invisibles, la douleur de la brutale séparation et la stupeur devant un futur inconnu. 

Les pensées s’entrechoquent dans la tête du président. 

Il doit avoir le même âge. Même âge mais moins de chance. 

Son fils. Le fils qu’il a voulu oublier sans jamais y parvenir. Le fils dont il s’était éloigné mais qui est revenu habiter son cœur, un lieu sûr pour l’enfant, mais dangereux pour lui. Là où il s’est réfugié, son image ne cesse de l’obséder et elle est devenue l’objet d’un remords alimentant le feu de son enfer, le consumant chaque jour. 

À qui peut-il ressembler maintenant ? À elle ou à moi ? Il doit être beau garçon

Silence. 

Dans sa mémoire, le petit, âgé d’à peine six mois, ressem- blait déjà à sa grande sœur. Le nez, la bouche, l’air serein quand il riait, des cheveux fournis aux tempes et sur le front. Puis de sept mois à un an, l’enfant s’était métamorphosé pour ressembler étran- gement à sa mère. Ce changement les avait beaucoup surpris. Même Dông, la sœur aînée de son épouse, en avait été sidérée. Dông, une femme admirable, qui avait pris soin de son petit neveu après avoir élevé sa sœur. 

C’est déjà un adolescent. Comme le temps passe vite. 

Oubliant la présence de son garde du corps, debout à ses côtés, il soupire. 

- Président ? Vous avez des instructions ? 

- Instructions ? demande-t-il, un peu surpris. Vous avez vu ? Les soldats sont partis à leur secours. Et nous ? Nous restons plantés ici, inutiles... 

- Président... 

Le soldat est sur le point de dire quelque chose mais se tait, soudain tout rouge. Il recule, l’air embarrassé et déconcerté. Le président prend conscience de sa maladresse. 

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trad. Phuong Dang Tran
08/01/2009 786 pages 29,40 €
Scannez le code barre 9782848050683
9782848050683
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