Lentement mes deux valises avançaient sur le tapis roulant du hall d’arrivée. Elles dataient de la fin des années soixante et je les avais trouvées dans la grange parmi les affaires de maman la veille de notre déménagement. Je me les étais immédiatement appropriées, elles n’étaient pas vraiment modernes ni fuselées mais elles me convenaient et correspondaient au style que j’affectionnais.
J’écrasai mon mégot dans le cendrier sur pied contre le mur, attrapai mes valises et les portai dehors sur la place.
Il était sept heures moins cinq.
J’allumai une autre cigarette. Rien ne pressait, je n’avais rien à faire et personne à voir.
Malgré un ciel couvert, l’air était limpide et vif. Le paysage avait quelque chose de la haute montagne, bien que l’aéroport devant lequel je me trouvais ne fût pas particulièrement en altitude. Les quelques arbres que j’apercevais étaient petits et tordus. Les sommets qui bouchaient l’horizon, couverts de neige.
Devant moi, un bus se remplissait rapidement.
Devais-je le prendre ?
Avec l’argent que papa m’avait prêté, de si mauvaise grâce, pour le voyage, je devais tenir tout un mois jusqu’à mon premier salaire. Mais d’un autre côté, je ne savais pas où était l’auberge de jeunesse et chercher son chemin dans une ville inconnue chargé de deux valises et d’un sac à dos n’était pas non plus la meilleure façon de commencer ma nouvelle vie.
Autant prendre un taxi.
À l’exception d’une sortie au snack du coin pour avaler deux saucisses sur une barquette de purée de pommes de terre, je passai toute la soirée dans ma chambre à l’auberge de jeunesse, sur mon lit, adossé à la couette, à écouter de la musique sur mon walkman tout en écrivant des lettres à Hilde, Eirik et Lars. J’en commençai une aussi à Line, avec qui j’étais cet été-là, mais l’abandonnai au bout d’une page, me déshabillai et éteignis la lumière sans que ça fasse de différence, il faisait plein jour en cette nuit d’été et le rideau orange rayonnait comme un œil ouvert sur la chambre.
D’habitude, je m’endormais facilement et dans n’importe quelles conditions, mais cette nuit-là je restai éveillé.
Dans quatre jours seulement, ce serait mon tout premier jour. Dans quatre jours seulement, j’entrerais dans une classe de l’école d’un village de la côte nord du pays, un endroit où je n’étais jamais allé, dont je ne savais rien et dont je n’avais même pas vu de photos.
Moi !
Un garçon de dix-huit ans, venu de Kristiansand, bachelier depuis quelques semaines, ayant tout juste quitté la maison familiale et sans autre expérience professionnelle que quelques après-midi et week-ends dans une parqueterie, un peu de journalisme dans un journal local et un job d’un mois dans un hôpital psychiatrique tout juste terminé. Moi, j’allais être professeur principal à l’école de Håfjord.
Non, je n’arrivais pas à dormir.
Qu’allaient penser de moi les élèves ?
Extraits
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