CHOISIR
Je m’appelle Nathan. Disons même Nathan Larenbroke, car je voyage avec ma mère. Ethel, qui nous accompagne tous deux depuis le début mais que personne n’accompagne, elle – personne de sa famille, il s’entend –, Ethel est la seule ici à pouvoir être appelée par son prénom et rien que son prénom.
Nos foyers respectifs, nous les avons quittés en janvier. Cela représente six mois complets, je m’en avise soudain, sans voir aucun des nôtres… Ni moi mon père, ni Ethel son mari et ses deux enfants. De plus, avec l’élan que nous avons pris en passant très vite d’un pays à l’autre, je ne nous vois pas rentrés chez nous avant la fin de l’année.
J’écris tout cela avec mon « Kuala Lumpur », l’ultime stylo plume que m’ait offert papa. Une pièce de collection, en résine noire habillée de vermeil ciselé. Maman était contre le fait que je l’emporte en voyage : il lui semblait déraisonnable de glisser dans un sac à dos un objet d’un tel prix… Quel prix, au juste ? Mettons qu’à Pékin, nous aurions pu troquer mon « Kuala Lumpur » contre un, peut-être deux billets d’avion pour New Delhi.
Pékin, Delhi… Il se trouve que Kuala Lumpur, aussi, est une capitale asiatique. Nous n’y sommes pas encore allés mais c’est là, à l’ouest de la Malaisie, qu’ont été organisées les dernières olympiades du Commonwealth, d’où l’édition d’un stylo commémoratif à un nombre limité d’exemplaires. Papa a obtenu pour moi le numéro 16 de la série, qui en comprend 888 – mais seul le 16 coïncide avec la mention gravée sur le corps du stylo : « XVI Commonwealth Games ».
Dans un instant, la projection de Dante’s peak va commencer… J’hésite toutefois à placer sur mes oreilles les écouteurs fournis par la Lan Chile. N’ai-je pas sélectionné ce matin deux titres majeurs dans ma petite bibliothèque de voyage, conscient que j’étais d’embarquer pour une destination exceptionnelle ? Tramps and Ladies de Sir James Bisset et Aku-Aku de Thor Heyerdahl… Il ne m’appartient plus désormais que de choisir entre ces deux livres !
James Bisset était, jadis, capitaine au long cours. En 1912, il avait moins de trente ans mais déjà rang d’officier à bord d’un paquebot, le Carpathia – celui-là même qui se porta au secours du Titanic et recueillit à son bord les quelque sept cents rescapés du naufrage.
Depuis que je possède les mémoires de Sir James, j’ai maintes fois résisté à la tentation d’aborder directement les pages consacrées au drame. Mais quel lecteur sensé négligerait d’explorer de bout en bout une œuvre s’ouvrant par une révélation : pour les anciens cap-horniers, renoncer à la voile au profit de la propulsion mécanique, cela équivalait à « abandonner la navigation »…
Aku-Aku, l’autre choix possible, débute dans le même environnement. Soyons précis : cinq scientifiques, quinze marins, un médecin et un photographe, plus le chef d’expédition, sa femme, leur petite fille et « Thor junior » : voilà reconstitué l’équipage du chalutier groenlandais affrété par Heyerdahl en 1955 et transformé en bâtiment d’expédition. Heureux le lecteur qui se présente à la suite du dernier homme embarqué, invité ipso facto à partager deux semaines de traversée et un an de séjour sur l’île de Pâques ! Une aventure si exaltante qu’il faudrait l’envisager de manière lyrique. Mais je préfère m’en tenir strictement aux faits. Aku-Aku raconte une campagne de fouilles archéologiques, première expédition du genre sur Rapa Nui mais aussi dernière chance… Dernière opportunité pour un groupe de passionnés de découvrir l’île telle qu’en elle-même, une terre privée de port et de mouillage sûrs, considérée comme le lieu habité le plus solitaire du monde. Quelques années plus tard, en effet, l’établissement d’une liaison aérienne avec le continent sud-américain allait permettre à ses habitants de rompre leur isolement.
Extraits
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