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Les gens n’ont vraiment rien à foutre de leur journée. Un quart d’heure ? Vingt minutes tout au plus ? Déjà, la foule s’est amassée devant le 36, quai des Orfèvres. Plus impressionnant qu’à un concert de Carla Bruni. Tous les yeux sont braqués sur la fenêtre complètement défoncée d’un bureau au quatrième étage. Des inspecteurs en panique entrent, sortent en courant, s’interpellent, se harponnent, se renvoient la faute. Les bleus tentent de contenir les badauds et les journalistes qui hurlent à la bavure, à l’assassin ! Et, au milieu de ce joyeux bordel, les médecins du Samu s’acharnent à grands coups de poing, de seringues et d’électrochocs sur la poitrine d’un corps encastré dans le bitume.
Tu parles. Voilà le vol plané qu’il s’est payé, le lascar ! Combien ? Dix, quinze mètres ? Le corps désarticulé, une jambe sous les omoplates, la tête enfoncée dans les épaules, les bras disloqués – un véritable sac de nœuds. J’imagine même pas l’état dans lequel doivent être les vertèbres et le reste là-dedans. Et tout ce raisin qui pisse par la tête, les narines et les oreilles…
Moi, je suis au-dessus de ça. Je les regarde s’activer. Ça me fait ni chaud ni froid. Même lorsque les médecins abandonnent, je ne sens pas un brin d’émotion. Après tout ce que je viens de vivre, cela sonne comme le début d’un rêve. Je me sens bien. Je me sens heureux. Je me sens léger.
Fin de partie.
Tout de même, une vraie putain d’histoire.
Tout avait commencé quelques jours auparavant, un matin très tôt dans une brasserie située du côté de la gare de Lyon. Assis à une table au fond de la salle, la tronche pleine de fumée et du son de la nuit, je piquais du nez dans mon crème. Une vraie tête d’outre-tombe que me renvoyaient les miroirs autour.
Il était temps d’aller se pieuter.
Seulement, j’étais coincé. Pour rentrer, fallait que j’attende que mon vieux soit parti au taf. Pietro, il supportait pas de me voir me coucher à l’heure où les jeunes bien élevés de mon âge s’en vont à la fac ou à l’usine.
La brasserie se remplissait peu à peu. Des boulots pour la plupart, qui prenaient un dernier café avant d’attaquer la journée. Quelques voyageurs avec leurs bagages dans l’attente d’un train.
Derrière le comptoir, pour le patron et sa meuf, c’était le coup de bourre. Ils valaient le cliché, ces deux-là. Lui, petit, trapu, bobine de teigneux, cheveux rouges, mâchoire de molosse aux chicots rouillés et plantés au petit bonheur la chance. Une bonne bouille de Kabyle qui, gilet noir multipoche, liquette blanchâtre, nœud papillon élimé et tablier bordeaux, se la pétait auvergnat.
Elle, faux tailleur de prix, escarpins violets, chemisier à jabot, mise en plis, courte sur pattes et mollets de boxeur thaï, la bonne génisse du centre de la France, fière de son statut de taulière. Faux Auvergnats, fausse classe, faux sympathiques commerçants – mais vrais clients pour la brigade des contrefaçons.
Extraits
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