#Roman étranger

Bataille de chats. Madrid 1936

Eduardo Mendoza

Bataille de chats (Madrid 1936) est une tragi-comédie au seuil de la guerre civile espagnole. Le roman se déroule à Madrid où Anthony Whitelands, un anglais expert en peinture espagnole du XVIIe siècle, vient estimer la collection de tableaux d'un duc espagnol. Il découvre dans la cave de la demeure ducale une toile inconnue qu'il attribue d'emblée à Diego Velasquez. Anthony Whitelands va se trouver alors bien malgré lui au centre d'un imbroglio rocambolesque et le jouet d'hommes politiques, hauts fonctionnaires de la police, services secrets espagnols, anglais et soviétiques, car tous soupçonnent le duc de vouloir se défaire de ses tableaux pour fuir à l'étranger et permettre à José Antonio Primo de Rivera, chef de la Phalange, d'acheter des armes. De rebondissement en rebondissement, Bataille de chats (Madrid 1936) appartient au meilleur de Mendoza: un roman impeccablement structuré qui se sert du genre policier et d'espionnage pour parvenir à un large public et ose utiliser le burlesque pour analyser les prémices de la guerre civile espagnole, ce moment précis où toutes les forces antagonistes sont en place, où il n'est plus possible de revenir en arrière, mais où le drame n'a pas encore éclaté. La grande érudition artistique de l'auteur est également au rendez-vous de ce livre où la finesse de l'analyse sociopolitique accompagne discrètement une intrigue haute en couleurs. Bataille de chats (Madrid 1936), prix Planeta 2010, est un roman qui s'adresse aussi bien au grand public qu'à des lecteurs cultivés et raffinés.

Par Eduardo Mendoza
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature étrangère

 

 

 

 

 

 

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4 mars 1936

 

Chère Catherine,

Peu après avoir traversé la frontière et m’être libéré des fastidieuses formalités de la douane, je me suis endormi, bercé par les cahots du train, car j’avais passé une nuit d’insomnie, harcelé par l’accumulation des problèmes, des péripéties et des affres dues à notre tumultueuse relation. Par la fenêtre du wagon, je voyais seulement l’obscurité nocturne et mon reflet dans la vitre : l’image d’un homme tourmenté par l’inquiétude. L’aube n’a pas apporté le soulagement qui accompagne souvent l’annonce d’un jour nouveau. Le ciel restait voilé et la pâleur d’un soleil blafard rendait plus désolés encore le paysage extérieur et le paysage de mes propres pensées. C’est dans ces conditions, au bord des larmes, que j’ai fini par m’endormir. Quand j’ai ouvert les yeux, tout avait changé. Le soleil brillait, radieux dans un ciel sans limites, d’un bleu intense, à peine altéré par quelques petits nuages d’une blancheur éblouissante. Le train parcourait le plateau désertique de la Castille. Enfin l’Espagne !

Oh, Catherine, ma Catherine adorée, si tu pouvais voir ce spectacle magnifique, tu comprendrais l’état d’esprit qui est le mien en t’écrivant ces lignes ! Parce qu’il ne s’agit pas seulement d’un phénomène géographique ou d’un simple changement de décor : c’est autre chose, et c’est sublime. En Angleterre comme dans le nord de la France que je viens de traverser, la campagne est verte, les champs sont fertiles, les arbres montent haut, mais le ciel est bas, gris et humide, l’atmosphère est lugubre. Ici, en revanche, la terre est aride, les champs sont secs et crevassés, ils ne produisent que des buissons rabougris, mais le ciel est infini et la lumière héroïque. Dans notre pays, nous marchons toujours la tête baissée et les yeux rivés au sol, accablés ; ici, où la terre n’offre rien, les hommes vont la tête haute en fixant l’horizon. C’est une terre de violence, de passion, de grands élans individualistes. Ils ne sont pas comme nous, attelés à notre morale étriquée et à nos conventions sociales dérisoires.

C’est comme cela, chère Catherine, que je vois maintenant notre relation : un sordide adultère semé d’intrigues, de doutes, de remords. Tout le temps qu’elle a duré (deux ans, trois peut-être ?), ni toi ni moi n’avons eu une minute de tranquillité et de joie. Immergés dans la petitesse de notre misérable climatologie morale, nous ne nous en rendions pas compte, car nous voyions cela comme une fatalité inéluctable, une souffrance que nous ne pouvions que subir. Mais le moment est venu de nous libérer, et c’est le soleil de l’Espagne qui nous l’a révélé.

Adieu, Catherine chérie, je te rends la liberté, la sérénité et la possibilité de jouir de la vie qui te revient de plein droit, par ta jeunesse, ta beauté et ton intelligence. Et moi aussi, seul mais consolé par le doux souvenir de nos étreintes fougueuses quoique sans issue, je tenterai de retrouver le chemin de la paix et de la sagesse.

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trad. François Maspero
23/02/2012 396 pages 22,30 €
Scannez le code barre 9782021050646
9782021050646
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