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Genre
Théâtre
INTRODUCTION
Pour parler de cette pièce, il faut la replacer dans ce qu’on pourrait appeler son contexte culturel. Nous sommes en 1957. Dwight D. Eisenhower est président des États-Unis, Richard M. Nixon vice-président. Le prix Pulitzer réservé au théâtre vient d’être attribué à Eugene O’Neill pour sa pièce Long voyage du jour à la nuit ; aucun roman n’a été primé. West Side Story démarre à Broadway, Leave it to Beaver fait son apparition à la télévision et, au cinéma, le spectateur a toutes les chances de voir Le Pont de la rivière Kwaï, Douze hommes en colère ou Peyton Place. La politique intérieure est encore aux prises avec le problème de la déségrégation raciale dans les écoles. Pendant ce temps, les Russes ont lancé leur premier Spoutnik, la conquête de l’Espace a commencé. Nous sommes en 1957, Kerouac a publié Sur la route et, parmi les autres livres de l’année, on compte L’Assistant de Bernard Malamud, Une mort dans la famille de James Agee et Les Structures de la syntaxe de Noam Chomsky.
À cette époque, Kerouac et sa horde de scribes ne parlent que d’adopter et de célébrer la vie « beat ». Kerouac aurait fabriqué le terme, dès 1948 selon certains, pour qualifier des conventions sociales « périmées », « éculées », « finies ». On a souvent pensé aussi que l’expression « Beat Generation » était une référence à la « Lost Generation » (la « génération perdue ») d’Hemingway avant guerre, mais avec une tonalité plus positive : les Beats sont des hommes qui ont reçu la lumière, ils sont « béats », à la confluence de bon aloi entre les philosophies bouddhiste et catholique, primordiales pour Kerouac.
En 1957, Kerouac n’était pas comme aujourd’hui une figure aussi colossale que les têtes du mont Rushmore. Il jouissait d’un certain anonymat, et n’était encore qu’une version première de lui-même plutôt qu’une personnalité, une célébrité.
Contrairement aux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale qui, une fois démobilisés, prenaient femme, s’installaient dans une banlieue résidentielle et s’investissaient corps et âme dans le Rêve Américain, la culture florissante du toujours plus, du conformisme forcené, la vie beat se vivait aux marges. Les Beats n’avaient rien à perdre et, en cas de chute, ne tomberaient pas de haut. Tournés vers la métaphysique et la méditation, aux antipodes du matérialisme ambiant, ils étaient le parfait négatif photographique du petit cadre dans l’entreprise. Kerouac et sa confrérie expérimentale aspiraient à autre chose — une forme de liberté. Ils voulaient prendre leur essor, s’envoler, briser leurs chaînes pour traverser l’espace et le temps. Ils cherchaient la spiritualité et la délivrance parmi les démunis. Ce qui ne les empêchait pas de vouloir prendre du bon temps, se faire trois sous aux courses, boire quelques coups, en tirer d’autres. Comparés au citoyen de base, ils étaient rebelles à la règle, inquiétants, menaçants.
Extraits
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