#Roman francophone

Bienvenue ! 34 auteurs pour les réfugiés

Patrick Gambache, Olivier Adam, Nicolas Bedos, Tahar Ben Jelloun

Les mobilisations collectives et les prises de position citoyennes ont été aussi nombreuses en cette longue année 2015 que l’actualité a été terrible. La récente image d’un enfant échoué sur une plage a soulevé un haut-le-coeur international et accéléré la prise de conscience. Après la sidération, il nous a semblé urgent de donner la parole à des personnalités publiques afin de constituer un recueil de textes et de dessins sur le thème de l’asile et de ceux qu’on appelle désormais les réfugiés et les migrants. A ce jour, de nombreux auteurs ont souhaité s’associer à Points pour défendre leur cause. Le livre regroupera des textes de fiction et des témoignages, ponctués de dessins... Pour diffuser un message de tolérance et d’ouverture le plus largement possible. Tous les bénéfices seront reversés au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui agit tant sur l’accueil et l’urgence en Europe que sur l’aide aux réfugiés dans des camps autour des zones de conflit, comme dans les pays voisins de la Syrie.

Par Patrick Gambache, Olivier Adam, Nicolas Bedos, Tahar Ben Jelloun
Chez Points

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Editeur

Points

Genre

Littérature française (poches)

Oui, je suis un migrant… par Alain Mabanckou

 

Je vis dans le 18earrondissement, non loin d’un centre d’« accueil des étrangers ».

Le matin, en sortant de notre immeuble, je les trouve là, faisant la queue.

Le soir, en rentrant, ils sont toujours là.

Certains ont les visages des gens de chez moi.

Sans doute des cousins lointains, qui sait ? Dans leur regard je sens qu’ils envient ma liberté d’entrer, de sortir du bâtiment à n’importe quelle heure.

Quand ils me demandent une cigarette, je sais que c’est un moyen pour eux d’entamer la conversation.

Et puis, un jour, je suis tombé sur l’un d’eux qui parlait ma langue, le lingala. Il n’était pas congolais, mais angolais.

– Réfugié ? lui demandai-je.

– Ah non, migrant ! hurla-til presque.

– Et c’est quoi la différence ? rétorquai-je.

– Eh bien, je préfère aujourd’hui être qualifié de migrant parce qu’au moins je suis dans l’actualité et on réglera peut-être mon problème…

– Et réfugié, alors ? insistai-je.

– C’est la même chose ! On quitte tous notre pays !

Mon grand frère était immigré, mon oncle réfugié, et moi je suis migrant… Toi-même, c’est pas parce que tu as eu plus de chance que moi que tu oublierais ça : le séjour d’un tronc d’arbre dans la rivière ne le transformera jamais en crocodile !…

 

*

 

Oui, il avait raison, ce « cousin » du 18e.

Je suis un migrant dans une certaine mesure.

Cette terre de France n’est pas mon lieu de naissance.

Cela a-til vraiment de l’importance ?

La France ? Je sais ce que je lui dois, mais ce qu’elle me doit est certainement au-dessus de ses moyens. Il suffit que je lui rappelle que je suis le descendant des tirailleurs sénégalais. Que je suis du Congo-Brazzaville et que mon pays a reçu des « migrants » venus de cette Europe plongée dans le chaos du nazisme. Que Brazzaville, la capitale de mon pays, a été celle de la France libre dans les années 1940. Que si par hasard on visitait ma terre d’origine, on serait surpris de trouver des avenues du Général- de-Gaulle, du Maréchal-Leclerc, etc. Qu’il y a encore, toujours à Brazzaville, la « Case de Gaulle », lieu de résidence de l’ambassadeur de France au Congo. Que nous n’avons jamais failli à notre sens de l’hospitalité. Que nous ne nous sommes jamais laissé tenter par l’ingratitude. Qu’aujourd’hui mon pays d’origine reste la source, le lieu de mon apaisement tandis que la France est le pays adoptif. Que l’Amérique, où je vis désormais, me permet en réalité d’aimer encore le Congo et la France. Que je ne peux m’accomplir qu’à travers cette identité tricontinentale – Afrique, Europe, Amérique – comme un triangle qui rappelle curieusement le commerce le plus funeste subi par ceux qui ont la même couleur que moi. Sauf qu’aujourd’hui je ne suis pas un homme de couleur en colère, mais tout simplement un être humain indigné par le spectacle insipide que nous offrent ces grandes puissances qui larguent des manuels de natation à des populations en train de se noyer…

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03/12/2015 189 pages 5,00 €
Scannez le code barre 9782757858615
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