Avertissement au lecteur
J’ai rencontré Sam Murchison dans un bar new-yorkais, à la fin des années 70, par le plus grand des hasards. Le fait est que j’étais tranquillement assis au comptoir, à éplucher les pages sportives du New York Post, en sirotant un whisky, quand ce type-là vint s’installer à côté de moi, en commandant le même alcool et en dépliant le même journal à la même page. La coïncidence me fit sourire, et lui, quand il s’aperçut du motif de mon amusement, il lança une plaisanterie à propos du plaisir ultime qui résulte des intérêts conjugués pour la gnôle et le sport.
Nous enchaînâmes sur cette base une conversation passionnante qui, au fil des mots, puis des années, se transforma peu à peu en une solide et fidèle amitié.
Et croyez-moi, je n’emploie pas le mot à la légère. Sam, comme moi, ne l’utilisons que rarement pour ne pas en altérer la valeur profonde.
Alors qu’à chacun de mes passages à New York nous nous retrouvions régulièrement au même endroit, il commença à me raconter dans le détail certaines de ses aventures. J’écoutai, des nuits entières, fasciné par ses histoires plus abracadabrantes les unes ques les autres, jusqu’au jour où je lui suggérai de les transcrire et de les faire publier, sous son contrôle total, bien entendu. Il fut longtemps réticent, jusqu’au jour où il finit par accepter ma proposition en se persuadant que, quitte à faire perdre du temps aux gens, autant que ce soit avec ce genre de bouquin plutôt qu’avec – pour le citer – « n’importe quel essai sur l’avenir de la monogamie, la crise de la quarantaine chez les cadres moyens, ou je ne sais quelle connerie du même tonneau ».
À partir de ce jour-là, je m’attachai donc à noter, de manière presque maniaque, ses moindres mots jusqu’à l’énumération qu’il se complaît perpétuellement à faire de tout ce qu’il boit, mange ou revêt.
Comme la première transcription de ses récits fut faite en américain, j’eus, par la suite (et ce fut le plus difficile) à transposer dans notre langue tout le côté fleuri et pittoresque de celle de Sam.
Le résultat, à cet égard, est presque parfait.
Ceci expliquant cela, notre amitié s’est consolidée avec le temps tout en nous laissant préserver nos différences.
Si je ne suis pas Sam Murchison, je peux cependant avouer que je suis très fier de la confiance qu’il m’a accordée, et que j’ai le sentiment de n’avoir pas trahie.
Antoine de Caunes
If it’s funny, it’s a joke,
If it’s not funny, it’s a story[1].
1. Si c’est drôle, c’est une plaisanterie,
Si c’est pas drôle, c’est une histoire.
(Proverbe traditionnel texan.) (N.d.T.)
1
Ce matin-là, en me levant, j’avais pas mal aux dents. En fait j’avais mal nulle part, mais je me sentais par contre horriblement gêné par la présence sournoise de tubes en plomb qui traversaient mon crâne de part en part avec une cruauté inouïe. Un peu comme si une troupe de bulldozers s’était amusée, pendant mon sommeil, à poser des pipelines de la Trans-Amazone pour relier mon oreille droite à ma carotide gauche, et retour. Du côté du foie, pas de doute, ça valait aussi le détour. J’avais tout simplement l’impression qu’un peloton de marines avait passé sa nuit à le prendre pour cible. J’étais pourtant certain d’être toujours vivant, mais je peux vous assurer que toutes les balles avaient fait mouche. En un mot je payais – tant il est vrai qu’ici-bas tout se paie – les 127,5 cl de whisky carte noire engloutis la veille avec mon copain Joe.
Extraits
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