#Roman étranger

Calypso de nuit

Lawrence Scott

En 1938, le Dr Vincent Métivier, descendant d'une famille créole française, vient de prendre en charge la léproserie située sur la petite île d'El Caracul, au large des côtes de l'île de Trinité. Il se voit confier par des prêtres, impuissants à le soigner, le jeune Théo, un garçon noir d'une douzaine d'années, muet le jour et agité la nuit par d'étranges calypsos, cauchemars où affleurent les bribes d'une enfance traumatisée. Son seul vrai soutien, il le trouve en Madeleine Weil, une infirmière devenue sueur Thérèse lors de son entrée dans la congrégation présente sur l'île : installée là pour poursuivre des recherches scientifiques qui la passionnent, elle a aussi été poussée à fuir les prémices de la guerre par son père, juif et communiste resté en Europe. Alors que Vincent est ramené par Théo à sa jeunesse et à l'oppression des minorités, il vit avec Thérèse une histoire d'amour exacerbée par le nécessaire secret qui l'entoure comme par la crise qui gronde sur fond d'émeutes raciales. Thérèse, quant à elle, attend avec une angoisse grandissante des nouvelles de son père. Autour de ces trois personnages, confrontés à leur propre passé, aux rumeurs du conflit lointain mais aussi déchirés entre la logique du savoir médical et l'obscurantisme des religieuses, se noue un roman polyphonique, magnifiquement ancré dans une nature exubérante et tropicale qui amplifie les sentiments et les douleurs. Calypso de nuit est une véritable saga romanesque, portrait réussi d'un microcosme bouleversé par les passions et les événements historiques proches ou lointains.

Par Lawrence Scott
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Littérature étrangère

ENTREZ.

IGUANES ET ORCHIDÉES

Ce sont les histoires dont je me souviens, le récit des histoires.

Oui.

Sur le chemin du retour, j’étais tombé dessus par hasard, presque dans l’état où on l’avait laissé. Arrachées de leurs gonds, les portes pendaient sur les côtés. Le vent faisait claquer les fenêtres. Le feu avait épargné quelques bâtiments. Les jalousies effondrées laissaient passer la lumière. Des bris de verre sur le sol. Les intempéries s’étaient invitées dans les pièces et avaient corrompu les dossiers qui, humides et moisis, se laissaient recou- vrir sur les bureaux et dans les tiroirs par la poussière des termites. La pluie et la lumière avaient fait le reste. Une couche de sel collant et granuleux envahissait les appuis des fenêtres et les tables. Des placards renfermaient encore des bouteilles et des fioles de médicaments. On avait renversé leur contenu ou bien il s’était évaporé. D’autres étaient intactes, blafardes mais munies de leur étiquette. Huile de chaulmoogra. On avait vandalisé des classeurs épars, sur le sol, arraché et jeté par terre leur contenu. 

Les seringues s’étaient transformées en poussière de verre. Elle crissait sous mes pieds sur le plancher en pin. 

Était-ce la conséquence de l’exode, ou tout cela était-il advenu après coup ? Un peu des deux, je pense, d’après ce que je vis dans les bureaux et les réserves. 

Des fragments de bandages, comme le duvet des kapokiers dehors, pendaient poussiéreux dans l’air fétide.

Des nuées de moustiques vrombissaient comme des violons discordants. 

Dans les pavillons de soin, les lits en fer étaient chamboulés, certains n’avaient plus leurs ressorts, leurs étais et leurs pieds s’effondraient. La fibre des matelas éventrés pourrissait, trem- pée. Les plumes des coussins crevés tremblaient sous la brise, en suspension dans la lumière. Bien que les lieux fussent totalement exposés aux éléments, un remugle d’hôpital persistait derrière les effluves de la ruine. Des excréments maculaient les murs. Il flottait une odeur d’urine nauséabonde. 

Dans certains coins, rôdait encore cette autre odeur, insidieuse. 

Deux iguanes se faufilèrent à toute allure dans les feuilles mortes au pied du badamier. Les branches épineuses de la sensi- tive, la Ti-Marie, rampaient vers la porte et ses feuilles se refer- maient quand nous les frôlions sur notre passage. 

La brousse avait gagné du terrain sur ce qui avait dû être des parcelles entretenues autour des cases. Les lianes corail, roses, grimpaient sur des clôtures en fer rouillé qui tombaient en morceaux. Je vis de la vaisselle brisée, des poêles et des casseroles rouillées. Les jardins étaient devenus sauvages, mais leurs bougainvillées violets, rouges et orange, et les calices de l’allamanda jaune resplendissaient toujours, surchargeant l’émail de la brousse vert jade. 

Des papillons voltigeaient et s’agrippaient aux fleurs sauvages. Le jardin bourdonnait d’insectes. Ça chantait, le chant des cigales, cet incessant bruit de scie strident. Ça bruissait et ça grinçait. Dans la brise, ça grattait sur les toits en tôle galvanisée à la rouille saignante. 

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trad. Stéphane Camille
02/06/2005 692 pages 29,40 €
Scannez le code barre 9782848050355
9782848050355
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