#Roman francophone

Ce que les hommes appellent amour

Joachim-Maria Machado de Assis

Ce journal du conseiller Aires est fait de petites touches ironiques sur le vieillissement, l'amour, l'ambiguïté des sentiments, l'abolition de l'esclavage ; des personnages forts le traversent, les descriptions peuvent paraître idylliques mais, comme toujours chez Machado, quelque chose grince.

Par Joachim-Maria Machado de Assis
Chez Editions Métailié

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Genre

Poches Littérature internation

Em Lixboa, sobre lo mar,

Barcas novas mandey lavrar…

 

Cantiga de JOHAM ZORRO.

 

Para veer meu amigo

Que talhou preyto comigo,

Alá vou, madre.

Para veer meu amado

Que mig’a preyto talhado,

Alá vou, madre.

 

Cantiga d’el-rei DOM DENIS.

 

9 janvier

 

Eh bien, voilà donc aujourd’hui un an que je suis rentré d’Europe. Ce qui m’a remis en mémoire cette date, pendant que je prenais mon café, c’est le cri d’un vendeur de balais et de plumeaux : “À mes balais ! À mes plumeaux !” Les autres matins aussi je l’entends, mais cette fois il m’a rappelé le jour où j’ai débarqué, le jour où j’ai retrouvé mon pays, mon quartier du Catete, la langue qui est la mienne. Le même cri, oui, qu’il y a un an, en 1887, et peut-être lancé par la même bouche.

Au cours de mes trente et quelques années de service diplomatique, j’étais bien revenu quelquefois au Brésil, en congé. Mais tout le reste du temps – ce qui n’est pas peu – j’avais vécu à l’étranger. Si bien que j’ai d’abord craint de ne pas me réhabituer à la vie d’ici. Et puis cela s’est fait. Bien sûr, je garde le souvenir de gens et de choses qui maintenant sont loin, divertissements, paysages, usages, mais je ne me consume de nostalgie pour rien. C’est ici que j’ai ma place, ici que je vis, ici que je mourrai.

 

Cinq heures de l’après-midi

 

Je viens de recevoir un billet de ma sœur Rita : je le joins à ce cahier :

 

9 janvier

 

Mon frère,

Je viens seulement de me rappeler qu’il y a juste un an tu rentrais d’Europe, ta retraite prise. Il est trop tard pour aller au cimetière de Saint-Jean-Baptiste sur la tombe de notre famille, en action de grâces pour ton retour ; j’irai demain ; je te demande de m’attendre et de m’accompagner. Il me tarde de te revoir.

Ta vieille sœur, Rita

Voilà qui ne s’impose guère, à mon avis, mais j’ai répondu oui.

 

10 janvier

 

Nous sommes allés au cimetière. Nulle tristesse dans ce qui nous amenait, et pourtant Rita n’a pu retenir quelques larmes, comme toujours, devant la tombe où repose son mari tant regretté, aux côtés de mon père et de ma mère. Elle l’aime encore, aujourd’hui comme au jour où elle l’a perdu, voilà tant d’années déjà. Dans le cercueil du défunt elle avait fait placer une mèche de ses cheveux ; ils étaient noirs en ce temps-là ; les autres, sur cette terre, ont peu à peu blanchi.

Il n’est pas mal, notre tombeau ; on pourrait certes le souhaiter un peu plus simple – une inscription, une croix – mais tel qu’il est, il a belle allure. Je lui ai trouvé l’air trop neuf ; ça oui. Rita le fait nettoyer tous les mois, ce qui l’empêche de vieillir. Or, je pense qu’un tombeau ancien remplit mieux son office s’il porte la marque sombre du temps, par quoi toute chose s’use. Sans cela, il paraît toujours dater de la veille.

Rita est restée quelques minutes en prière pendant que je regardais alentour les tombes voisines. Presque toutes portaient gravée, comme la nôtre, l’exhortation traditionnelle : “Priez pour lui ! Priez pour elle !” Un peu plus tard, en chemin, Rita m’a confié qu’elle a pour habitude de répondre à ces demandes et de prier pour tous ceux qui sont là. Peut-être est-elle seule à le faire. C’est un être plein de bonté que ma sœur, et de gaieté tout autant.

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08/03/2007 214 pages 9,50 €
Scannez le code barre 9782864246091
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