#Essais

Charles de Gaulle

Eric Roussel

La mort du général de Gaulle, le 9 novembre 1970, a marqué non seulement la fin d'une époque, selon l'expression consacrée, mais une césure encore plus profonde. Après lui, on ne voyait plus alors sur la scène que des personnages de moindre stature et rien n'indiquait qu'il pût en être autrement dans un avenir prévisible. Une trentaine d'années plus tard, ce constat désenchanté se vérifie. C'est pourquoi sans doute la vie du général, ses faits et gestes éveillent aujourd'hui une irrépressible nostalgie ; pourquoi également son œuvre fait l'objet d'une approbation presque unanime, sans qu'on sache toujours si les éloges s'adressent au style ou à une action conduite selon des principes définis de longue date. Le temps est donc venu d'une vision plus précise et plus équilibrée. Telle est l'ambition d'Eric Roussel. Cette biographie est d'autant plus opportune que de très nombreux fonds d'archives, en France et à l'étranger, se sont ouverts récemment, qu'il a su exploiter avec beaucoup de flair et de clairvoyance. Des interprétations communément acceptées se trouvent mises en cause ; et bien des épisodes sont éclairés d'un jour nouveau par des pièces inédites, d'autant plus irréfutables qu'elles sont, pour certaines d'entre elles, de la main du général. Il en y a ainsi, par exemple, des débuts de la France Libre. " C'est l'histoire d'un bluff qui a réussi ", disait-il. De nouveaux documents l'attestent, sans diminuer l'homme qui sut dire non, ce " rêveur réaliste ", comme l'appelait Romain Gary. Mais de Gaulle ne prend toute sa dimension que si on le replace, comme le fait Eric Roussel, dans une perspective historique. Avec le recul, il apparaît comme un résumé et comme un aboutissement de tout le passé national. Plus proche assurément de Richelieu, de Louis XIV, de Napoléon ou de Clémenceau que de Henri IV, il est le type même de ces personnages, à présent disparus, entièrement dévoués à la grandeur de la nation et fervents de la raison d'Etat. " La vérité du général de Gaulle est dans sa légende ", a dit Alain Peyrefitte. La légende ne perd pas toujours à être confrontée à l'histoire. Ce livre montre même que, parfois, elle y gagne.

Par Eric Roussel
Chez Editions Gallimard

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Genre

Histoire de France

 

 

 

 

Un homme à part

 

 

« Croyez-en un vieux Parisien, il n’est pas d’exemple d’une famille de Paris qui soit parvenue à jouer le jeu pendant plus de trois générations sans être liquidée. » Loin d’être une boutade, cette confidence de Charles de Gaulle à son aide de camp Claude Guy1 prend sa signification véritable à la lumière de l’histoire, assez mouvementée, de sa lignée paternelle.

Jusqu’à la Révolution, les de Gaulle étaient des bourgeois parisiens prospères, respectés, fiers de leurs racines lointaines au pays de Galles. Après la tourmente de 1789, tout changea. Procureur au Parlement, Jean-Baptiste de Gaulle, le trisaïeul du général, perdit la majeure partie de sa fortune durant les troubles et son fils, avocat au Parlement, emprisonné par la Convention, délivré par la mort de Robespierre, ne put rétablir la situation matérielle des siens. À près de soixante ans, en butte à de grandes difficultés, il finira par entrer dans les postes militaires de la Grande Armée, amèrement déçu par les idées nouvelles véhiculées par les Encyclopédistes dont il avait été d’abord assez proche.

Son fils, Julien de Gaulle, le grand-père du fondateur de la Ve République, connut un sort encore moins enviable. Né en 1801 à Ménilmontant, chartiste de formation, installé très jeune dans le Nord, il travaillait dans un petit pensionnat de Lille menant, semble-t-il, une existence précaire.

Son salaire ne doit pas être bien gros, écrit Michel Marcq, l’historien de la famille, et c’est peut-être la raison pour laquelle ce paléographe […] occupant le plus clair de ses loisirs dans les archives, vendit en 1833-1834 tant à Gand qu’à un négociant lillois de la rue Jean-Jacques-Rousseau, des documents qui ne lui appartenaient pas2.

Vénielle, l’affaire poursuivit malgré tout Julien de Gaulle une partie de sa vie. Lorsqu’en 1837, la petite institution scolaire qu’il avait reprise à Valenciennes périclita, la rumeur publique évoqua de nouveau cet épisode. En tout cas, ce fut dans un dénuement extrême que Julien de Gaulle, sa femme Joséphine et leur fils Charles, alors âgé de quelques mois, quittèrent le Nord, leur mobilier ayant été saisi. « La dernière chemise vendue, précise Michel Marcq, ils s’en vont à Paris où ils vivoteront d’innombrables et très divers travaux de plume3. » Leurs ennuis, apparemment, ne s’arrêtèrent pas là puisque, installés dans la capitale, ils y occupèrent pas moins de vingt-sept domiciles entre 1837 et 1885.

Connue depuis peu de temps grâce aux publications de l’Institut Charles-de-Gaulle, cette vie quasiment errante des grands-parents du général ne mérite d’être évoquée que dans la mesure où elle a engendré un état d’esprit très particulier, non sans conséquences pour les générations suivantes. Joséphine et Julien de Gaulle apparaissent surtout avoir été des inadaptés sociaux, handicapés plus par leur absence de sens pratique que par le petit scandale auquel leur nom était attaché depuis 1834. Auteur d’une monumentale Histoire de Paris, préfacée par Charles Nodier, Julien de Gaulle aurait pu, s’il avait été plus avisé, tirer un certain profit de ses recherches : son ouvrage, en effet, connut une diffusion importante notamment dans les milieux catholiques et traditionalistes qui préféraient l’orientation de ses travaux à celle de son concurrent, le conventionnel Dulaure, auquel on doit aussi une évocation du passé de la capitale. Mieux gérée, l’œuvre de Joséphine aurait dû, en bonne logique, susciter des profits encore plus substantiels. Tous d’inspiration religieuse et moralisatrice, « dans le genre de la Comtesse de Ségur en plus édifiant4 », ses innombrables livres (Chant à Marie pour chaque jour du mois de mai, Le Foyer de mon oncle, Histoire de saint Joseph, entre autres) avaient un public fidèle et non négligeable. Sans doute a-t-elle été victime, comme son mari, d’éditeurs peu compétents.

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14/05/2002 1032 pages 30,50 €
Scannez le code barre 9782070752416
9782070752416
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