AVANT-CONTE
Convaincue qu’il n’est de meilleur moyen d’appréhender la culture d’un peuple que de s’abreuver à la source de sa mythologie, il m’est tout naturellement apparu que cette « grand-mère japonaise » devait donc, remontant aux sources immémoriales de l’âge des kami (kami yo), s’ouvrir sur les récits des mythes fondateurs retraçant la création tumultueuse du monde et des îles du Yamato.
Ces kami signifiant « êtres placés plus haut et vénérés », sans que pour autant ils soient des dieux, « concept spécifiquement japonais », font eux-mêmes l’objet de cultes consacrés pour l’essentiel aux « divinités de la nature ». L’ensemble constitue le shintoïsme – la Voie des dieux. Religion primitive et endogène du Japon, le shintoïsme1 vouait en effet l’essentiel de son culte aux divinités de la nature dont le Soleil, incarné par la Grande Divinité céleste Amaterasu Ô mi kami (Omikami). Par la suite et, syncrétisme aidant, au contact du confucianisme et du taoïsme, il adopta le culte des ancêtres (autels domestiques, l’un d’origine shintô, le kamidana, et l’autre d’origine bouddhique, le butsudan). De même, dans son rapport au bouddhisme, il retint certaines idées philosophiques et certains rites.
On s’est référé fréquemment à un « shintoïsme primitif » comme pour mieux le différencier du shintoïsme pratiqué et vécu par les Japonais. Cette distinction s’explique, pour l’essentiel, par le rôle tenu par le bouddhisme quand il fut introduit au Japon vers le milieu du VIe siècle de notre ère grâce à un envoi de livres et d’images d’un souverain du royaume de Paekch’é (l’actuelle Corée)… à celui du Japon.
D’inspiration chinoise (ou céleste), l’implantation de la nouvelle doctrine du Bouddha fut controversée voire contestée du moins en ses débuts : on avança soit « l’auguste loi de Bouddha », soit le Kojiki2 – qui retrace l’histoire du Japon jusqu’au début du VIIe siècle, au « temps des dieux », de l’installation divine du Premier Empereur et de ses successeurs –, et d’autre part, le Nihon shoki, rassemblant mythes et légendes, les annales du Japon. Le shintô apparaît pour la première fois dans ce dernier livre (shin étant la forme chinoise du japonais kami, « divinité », et tô signifiant le « chemin »).
De cette genèse à double voie, il ressort ceci d’importance primordiale tant pour le bouddhisme que pour le shintoïsme : par un phénomène quasi logique (et mieux connu de nos jours) du syncrétisme – d’un syncrétisme qui n’aurait pas été jusqu’au bout de sa genèse –, la Voie des dieux, tirée en dernière instance par Amaterasu Omikami, va l’emporter en 1868 (après la restauration de la dynastie des Meiji) sur le bouddhisme, sans que celui-ci soit toutefois écarté. Grand événement politique et culturel : le shintô devient religion d’Etat.
Ce qui revient à dire, en termes cette fois-ci de choix exclusivement politique, que le shintô, élevé au rang de religion d’Etat, est désormais « l’instrument d’une politique qualifiée de nationaliste ». C’est l’époque dit-on où des temples bouddhiques se voient rattachés à des sanctuaires shintô, et que des fêtes shintô prennent elles-mêmes des accents bouddhiques, notamment avec la récitation de sûtras.
Extraits
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