#Roman francophone

Contes immoraux

Charles-Joseph de Ligne

Prince rose, enchanteur de l'Europe, prince chéri : jamais les qualificatifs flatteurs ne firent défaut à celui que Goethe appelait " l'homme le plus gai de son temps ", dont les Contes immoraux sont les confessions librement transposées. Au fil de ses amours, qui de ville d'eau en ville d'eau, entraînent le lecteur au travers de l'Europe, l'auteur observe ses semblables et le monde avec un désenchantement sarcastique. La légèreté d'esprit et de ton recouvre une conception dédramatisée, tolérante de l'amour, aussi éloignée des émotions des " âmes sensibles " que du cynisme des libertins de Laclos : c'est l'œuvre d'un homme pour lequel le sentiment amoureux aura en définitive compté plus que tout.

Par Charles-Joseph de Ligne
Chez Les Editions Desjonqueres

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Genre

Littérature française

 

 

 

 

 

PRÉFACE

 

 

Je parie qu’il y a eu vingt fats anglais, quoique Londres ne soit pas la capitale de la fatuité, qui auront dit qu’ils étaient Lovelace. J’ai vu un sot français qui m’a dit être le vicomte de Valmont, et moi qui connais la société de Grenoble qui a donné lieu au roman, je sais que c’est ce personnage qui y existait le moins. Jean-Jacques fait tout ce qu’il peut pour faire croire qu’il a eu une Julie : il n’a pas même eu une Warens telle qu’il le dit. On m’a assuré que Werther était, avec des changements et à la mort près, l’histoire de Goethe avec une Charlotte qui ne sait seulement pas qu’on le croit. Qu’on n’aille pas me faire l’honneur de me croire le bon diable : je suis un bon diable, mais pas celui que j’ai imaginé. Tout y est vrai et point vrai. C’est-à-dire que dans ce qui est vrai, il ne m’est rien arrivé que l’histoire du talisman et de Jonathan, quelque chose de Fatmé, un peu de Camilla, le commencement de Sara, une partie de Nancy et la pêche aux écrevisses. Mais le reste est arrivé à plusieurs personnes qui me l’ont raconté. Chacun a eu ses petites aventures ; mais on n’est pas assez bête pour les écrire, car elles sont rarement piquantes ; mais en réunissant les autres, dont on a connaissance, on peut plutôt être lu, et on ment sans mentir. Je ne sais pas encore à quel âge je ferai mourir mon baron allemand ; j’ai envie de lui donner quarante-cinq ans, car il faut que les morts soient jeunes pour qu’on les regrette : il en sera d’autant plus intéressant, car s’il a eu tant de succès, à la guerre et en amour, si jeune, il aurait été un maréchal de Richelieu à soixante ans, mais bien plus pur, plus moral et plus catholique. Le lecteur n’a qu’à déterminer le pays où il a fait la guerre, et les cours où il a fait l’amour. Cela m’est égal, j’ai jeté un grand voile là-dessus, pour faire croire que le baron a existé et qu’il y a du mystère dans tout cela. Je ne lui ressemble qu’en ce qu’on n’a jamais trouvé mon extrait baptistaire, ce qui m’a fait perdre un procès. Mais j’espère bien n’être pas damné pour cela, et je n’ai pas péri dans un tremblement de terre. J’ai imaginé les Isidore et les autres, pour réunir ce que j’ai trouvé dans vingt femmes différentes, et faire quelques tableaux du cœur humain, mais point en noir. Je n’aime pas les monstres et pas plus à en voir dans les romans qu’à la foire. Lorsque je ne trouve pas le dénouement d’une série d’horreurs et que je ne prévois aucune des intrigues qu’il faut vraisemblablement pour faire un bon roman, je dis comme Gaston dans Bayard :

Grand Dieu ! plutôt que me l’apprendre,
Accordez-moi cent fois de m’y laisser surprendre.

C’est pour cela que j’ai eu besoin de quinze personnages pour en faire un passable, afin que la quantité supplée à la qualité et que les petites histoires, accumulées sur un seul, dédommagent du trop peu d’intérêt de chacun. Don Quichotte, par sa bonne plaisanterie, a dégoûté d’une sorte de romans et les Scudéry, par leur fadeur, du genre qu’ils ont embrassé. Mademoiselle de Lussan, par un mélange de faux et de vrai, en mettant sur des noms connus des faits imaginaires, embarrasse et humilie : on croit ne savoir pas l’histoire. Madame de Villedieu fait de César et des Romains des petits-maîtres français. Madame de Gomez a fait des Journées amusantes, mais ne me les a pas rendues telles. L’abbé Prévost a voulu graver à la manière noire des Anglais et ne s’est que barbouillé de charbon pour en imiter la couleur.

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01/01/1995 207 pages 18,60 €
Scannez le code barre 9782904227851
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