« OURSE QU’IMPORTE LA FABLE1 »
Lorsque Contrée est publié par les éditions Robert-J. Godet en mai 1944, Robert Desnos est déjà déporté en Allemagne. Il ne verra donc pas le recueil de ces vingt-cinq poèmes, qu’illustre une eau-forte2 de Picasso, représentant un chevalier en armes appuyé sur des livres — symbole du poète résistant — et qui est dédié à sa compagne inlassablement aimée Youki. Pas plus qu’il ne verra publiés la même année Le Bain avec Andromède, aux éditions de Flore, et Trente chantefables pour les enfants sages aux éditions Gründ. Quant à Calixto, suite poétique aux formes mêlées, achevée en septembre 1943, le recueil n’avait pas encore trouvé d’éditeur à l’arrestation du poète, le 22 février 19443.
Au camp de Flöha où il est déporté, Desnos reste préoccupé par le sort de ses œuvres en cours de publication : « Que deviennent mes livres à l’impression ? », demande-t-il à Youki dans sa lettre du 15 juillet 19444. Et c’est à la poésie qu’il se fie pour survivre aux épreuves de l’internement : « Pour le reste je trouve un abri dans la poésie. Elle est réellement le cheval qui court au-dessus des montagnes dont Rrose Sélavy parle dans un de ses poèmes et qui pour moi se justifie mot pour mot5. » Ainsi Rrose Sélavy accomplit-elle dans la réalité sordide les promesses de liberté proférées dans la jubilation verbale en 19226. Indéfectiblement poète, donc libre, tel s’affirme Desnos tout au long de sa vie. De cette revendication, Contrée et Calixto apportent à leur manière un témoignage.
« Je vais à tâtons »
Dans une lettre à Paul Éluard datée du 8 octobre 1942, Desnos évoque le séjour qu’il vient de faire en septembre en Normandie7 : « Me voici de retour à Paris après une belle campagne normande, où les champignons en ont vu de cruelles. Mais je ne me suis pas borné à chasser le cèpe et les girolles, j’ai continué Contrée […]. C’est pour moi une curieuse expérience. Je vais à tâtons mais les images, les mots, les rimes s’imposent comme les détails d’une clé pour ouvrir une serrure8. » Desnos semble dire qu’il est en face d’une énigme poétique qu’il tente de résoudre. Cette recherche inscrit ses premiers résultats à la fin d’État de veille, qui paraît en avril 1943. Ce recueil, publié chez Robert-J. Godet, joue le rôle de charnière entre une ultime référence à l’avant-guerre — réécriture de « poèmes forcés » de 1936, création de « couplets » destinés à être mis en musique, selon la pratique radiophonique des années trente —, et la mise en œuvre d’une poétique assumant des contraintes nouvelles : « Quelques poèmes, en apparence plus classiques, est-il précisé dans la postface, terminent ce recueil. Ils font partie d’une expérience en cours dont il m’est impossible de prévoir l’évolution et dont je ne saurais parler clairement9. » Quatre poèmes aux formes régulières, dont deux sonnets, terminent État de veille, donnant les premiers exemples des formes classiques qui s’imposent dans Contrée.
Extraits
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