CHAPITRE PREMIER
Critiques et retournements
Enfants gais comme l’air que le tourment du péché condamne à devenir sournois et secrets sous le regard d’un dieu sans gaieté qui les met au pas et leur interdit de rire. La lumière se fait plus grise, plus dur le devoir et l’oisiveté pesante : le jeu même perd entre ces grands murs son goût sauvage1.
Ce souvenir d’enfance du poète Louis-René des Forêts serait-il le point d’aboutissement d’une théologie chrétienne du péché ou, à tout le moins, d’une pastorale largement répandue, issue précisément de cette théologie ? On y retrouve les traits dont on fait habituellement grief à la tradition chrétienne : le secret, la dissimulation, qui conduit à l’hypocrisie et contraste avec la volonté de savoir inquisitoriale du confesseur, la tristesse qui en résulte, l’abandon de toute spontanéité au profit d’un monde soumis à un légalisme fade. Est-ce là ce qui empêche l’esprit moderne d’accéder à la pertinence de la notion de péché ?
La pastorale la plus récente s’est efforcée d’intégrer les critiques. Mais elle est critiquée à son tour. On lui reproche d’être trop accommodante, de minimiser la notion de péché en se conformant à la mentalité moderne, libérale, hédoniste. De là provient un retour de moralisme et de la « tradition » dans certains groupes chrétiens.
Plus que la notion même de péché, ce qui est en jeu est une certaine représentation de Dieu. Quel Dieu se révèle dans une théologie si profondément marquée par la faute ? Ce Dieu est-il tolérable, non seulement pour les esprits forts, mais, plus largement, pour tous ceux qui pensent – comme les chrétiens, en principe – que l’accomplissement de l’homme passe par la liberté ? La libération d’une si lourde culpabilité ne suppose-t-elle pas de se débarrasser définitivement d’un surmoi divin qui empêche de vivre en plénitude ? Une question si radicale suppose une représentation de Dieu comme « Dieu pervers », selon l’expression de Maurice Bellet. Ce Dieu n’est pas une aberration passagère, facilement identifiable, qu’un peu de raisonnement et de volonté permettrait de repousser au-delà de notre horizon. Cette figure monstrueuse accompagne l’histoire du christianisme, mais c’est l’Évangile qui en identifie les traits et en dénonce les effets.
Le péché a acquis un sens bien particulier dans notre culture, par exemple dans le rapport à la nature. Il était vu anciennement comme la rupture de l’harmonie cosmique. Mais notre rapport à la nature a changé : celle de notre âge écologique n’est plus le cosmos harmonieux des Anciens ni la nature maîtrisée, technicisée, des Modernes.
Un deuxième point significatif est le souci de soi, composante fondamentale des sociétés modernes, individualistes. Il trouve une expression particulière dans la vogue actuelle pour le développement personnel, selon lequel la faute majeure est ce qui empêche d’être soi, qu’on le comprenne au sens direct (il faut être libéré de la faute pour être soi) ou indirect (il faut se libérer de la notion de faute pour être soi).
Extraits
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