Kolkata, 18 septembre 2007,
Assignée à résidence
Bannie ici et là-bas
Je ne suis pas venue au monde en Inde, mais peu de choses dans mon apparence, mes goûts, mes habitudes ou mes traditions me distinguent d’une femme qui y serait née. Il aurait suffi de quelques années en moins pour que je sois indienne dans tous les sens du terme. Mon père est né avant la partition ; l’étrange histoire de ce sous-continent a fait de lui le citoyen de trois États, et de sa fille la citoyenne de deux. Dans un village qui se trouvait alors au Bengale-Occidental vivait autrefois un pauvre paysan nommé Haradhan Sarkar, dont l’un des fils, Komol, rendu fou par l’oppression zamindari, se convertit à l’islam et prit le nom de Kamal. J’appartiens à cette famille. Haradhan Sarkar était le père de mon arrière-grand-père. Ses autres descendants, passés en Inde au moment de la partition ou après, sont devenus des citoyens de ce pays. Mon grand-père, un musulman, n’est pas parti. Lorsque j’étais enfant, l’idée jadis en vogue du panislamisme avait été réduite à néant par les musulmans du Pakistan oriental qui combattaient leurs coreligionnaires du Pakistan occidental. Nous luttions pour le nationalisme bengali et la laïcité.
Bien que je sois née longtemps après la partition, l’idée d’une Inde non divisée me fascinait. J’ai écrit maints poèmes et histoires dans lesquels je regrettais la disparition d’un Bengale unifié, tout comme celle d’une Inde unique avant même d’y être venue. Je n’arrivais tout simplement pas à accepter les barbelés qui séparaient des familles et des amis, alors qu’ils partageaient une même langue et une même culture. Ce qui me blessait le plus, c’était que ces barbelés avaient été mis en place par la religion. Devenue adolescente, j’ai renoncé à la religion pour me tourner vers l’humanisme laïque et le féminisme, qui m’attiraient sans qu’ils m’aient été imposés par un quelconque artifice. Mon père, un homme à l’esprit scientifique et moderne, m’a toujours encouragée à l’introspection, de sorte qu’en grandissant je me suis coupée de la religion, mais aussi de toutes les traditions et coutumes, de la culture même qui opprimait, réprimait et rabaissait les femmes en permanence. En 1989, lors de ma première visite en Inde, et plus précisément au Bengale-Occidental, je n’ai pas pensé cinq minutes que j’étais dans un pays étranger. À la seconde où j’ai posé le pied sur le sol indien, j’ai su que j’étais ici chez moi, et que, fondamentalement, ce pays était inséparable de celui que j’appelle le mien.
Ce sentiment n’avait rien à voir avec mes ancêtres hindous. Ni avec le fait qu’une des multiples cultures de l’Inde se trouve être la mienne, que je parle une de ses innombrables langues ou que j’aie l’air d’une Indienne. La raison en est que les valeurs et les traditions de l’Inde sont enracinées en moi au plus profond. Ces valeurs et ces traditions sont une manifestation de l’histoire du sous-continent. Je suis une victime de cette histoire. Là encore, j’en ai été nourrie et – si l’on peut dire – animée. Je suis une victime de sa pauvreté, de son héritage colonial, de ses croyances, de son communautarisme, de sa violence, de ses massacres, de sa partition, de ses migrations, de l’exode, des émeutes, des guerres et des théories sur le statut national. De plus, ma vie m’a endurcie, ainsi que mes expériences dans une théocratie mal gouvernée, frappée par la pauvreté et la famine, qui s’appelle le Bangladesh.
Extraits
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