1887
1. À EMILY FYNN À ST. MORITZ
[01.01.1887]
Nice (France)
Pension de Genève
1er janvier 1887.
Très chère Madame,
Votre aimable petite attention, pour laquelle je vous remercie de tout cœur, a fait son chemin de Naumburg à Nice – traversant je ne sais combien de contrées enneigées et retards postaux ! vous auriez quoi qu’il en soit reçu de mes nouvelles ces jours-ci, et même plus tôt, si ces derniers temps une circonstance singulière ne m’avait privé de la faculté d’écrire : des doigts bleus ! J’ai occupé jusqu’ici une chambre exposée au nord, sans poêle, donnant sur un jardin glacé – une véritable épreuve, contre laquelle j’ai fait mauvaise fortune bon cœur.
Le froid se fait vivement ressentir depuis le 14 novembre, un beau temps de janvier bien tenace, soleil et ciel dégagé presque sans interruption, exactement comme je l’aime (et comme j’en ai besoin !) Il m’est souvent arrivé de penser que notre goût et notre besoin mutuels devraient aussi s’accorder sur Nice, et pas seulement sur l’Engadine : sous réserve que l’on n’arrive pas ici trop tôt (comme je l’ai fait cette fois, à la mi-octobre) et que l’on ne parte pas trop tard. La proximité entre l’air de chez vous, là-haut, et de chez moi, ici-bas, du point de vue de l’énergie, de la sécheresse, de la force stimulante, devrait faire en sorte que l’on puisse les confondre aujourd’hui. à propos, pas le moindre flocon de neige ; en revanche, un raz-de-marée qui a submergé la promenade des Anglais il y a deux jours. Après-demain, je change de logement et hérite d’une chambre ensoleillée. Par chance on me nourrit correctement ; je m’en tiens exclusivement à mon régime à base de lait et d’œufs le midi, mais le soir, je m’assois à une honorable table d’hôtes, à laquelle on ne trouve quasiment que des Anglais.
Il était question qu’une Anglaise portant le même nom que vous, Mademoiselle Fynn, quitte San Remo pour emménager dans mon hôtel, et on avait pensé l’installer dans le salon jouxtant le mien : cela aurait été la source d’un charmant quiproquo ! La société ici à Nice doit cet hiver être meilleure que l’année dernière : c’est ce que l’on me raconte, car je vis encore plus à l’écart qu’avant. Les villas sont largement occupées, plus que les hôtels ; on voit beaucoup d’équipages, beaucoup de domestiques. Le roi du Württemberg, le prétendant au trône de russie33, le duc régnant de Saxe et Gotha sont également ici ; on a longtemps attendu l’impératrice de russie (pour la villa van-Derwies) « La dernière saison avant la guerre » – c’est ce que tout le monde dit. Je pense que l’année prochaine amènera quelque bienfait, pour nous, par exemple, de paisibles retrouvailles là-haut dans les cimes, dont l’effet curatif et dûment éprouvé serait difficilement remplaçable pour votre vénérable amie et vous-même. Avec Sils, je suis toujours d’accord, non avec la chambre elle-même : mes yeux me l’interdisent à l’avenir. Il me faut une grande chambre de travail haute de plafond, avec les cinq qualités nécessaires. En ce qui concerne l’intermède, rien n’est décidé : je redoute les intermèdes. Peut-être Venise, où, après bien des humiliations, s’en est retourné mon pauvre musicien, passablement abattu et ayant peut-être besoin de mon soutien (ou plutôt de ma croyance en sa musique : tous les artistes ont besoin de « croyants »).
Extraits
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