Ellery Queen, la malice et le meurtre
Vers la fin des années 1920, plusieurs pièces policières firent fureur sur les scènes de Broadway – L’Affaire Mary Dugan,Le Chat et le canari ou encore La Chauve-souris, inspirée du best-seller de Mary Roberts Rinehart – , qui témoignaient du triomphe d’un genre littéraire, le détectivenovel. Celui-ci venait de trouver en la personne du romancier S.S. Van Dine l’un de ses plus brillants praticiens, en même temps qu’un défenseur particulièrement habile. Ce pseudonyme pittoresque dissimulait la personnalité peu commune d’un ancien de Harvard, Willard Huntington Wright, éminent critique d’art et de littérature qui avait décidé de faire la preuve que le roman policier n’avait décidément rien d’un mauvais genre. Le premier livre signé Van Dine, La Mystérieuse Affaire Benson, paru en 1926, avait fait sensation. Wright, peu de temps après, publia les « 26 Règles du roman policier » qui affirmaient l’extrême sophistication d’une sorte de Cluedo romanesque que le public américain connaissait surtout à travers les œuvres d’auteurs britanniques – Agatha Christie avait déjà pignon sur rue des deux côtés de l’Atlantique.
Le héros des romans de S.S. Van Dine était un certain Philo Vance, richissime dilettante évoluant dans la meilleure société de Manhattan. Sa façon de mener l’enquête, à la fois dédaigneuse et très prenante pour le lecteur, obéissait à un précepte solidement établi par Mr Wright.
« Le fin mot de l’énigme, affirmait-il, doit être apparent tout au long du roman, à condition, bien sûr, que le lecteur soit assez perspicace pour le saisir... Il y aura toujours assez de lecteurs capables de se montrer aussi sagaces que l’auteur. »
Ce fut le cas, sans doute, de deux jeunes publicitaires vivant alors à New York, dans un quartier nettement moins fashionable que celui que hantait Philo Vance. Manford Lepofski et Daniel Nathan avaient tous deux vu le jour en 1905 et ils étaient cousins. D’origine juive polonaise, ils avaient été éloignés de Brooklyn durant l’enfance puis s’étaient retrouvés à la fin de leurs études et ne s’étaient plus quittés.
Tous deux rêvaient de se lancer dans la fiction et, comme pour se préparer au grand jour qui verrait leur prose imprimée – mais aussi dans un souci d’intégration fort compréhensible –, ils décidèrent de changer de noms. Manford devint ainsi Manfred B. Lee et Daniel, qui vénérait Chopin, se métamorphosa en Frederic Dannay. Lorsque, au début de l’été 1928, le magazine McClure’s lança un grand concours de romans policiers destiné à ses lecteurs, Dannay et Lee s’engagèrent d’un même élan dans la confection d’une œuvre qui devait beaucoup au modèle de Van Dine qu’ils admiraient énormément. Les deux cousins avaient parfaitement assimilé la « technique » de Mr Wright et ils jugèrent qu’ils étaient capables de faire subir un tour d’écrou supplémentaire au classique puzzle offert par le roman de détection. Ils eurent ainsi l’idée de mettre en scène un jeune détective amateur et romancier nommé Ellery Queen, dans un livre qu’ils intitulèrent Le Mystère du chapeau de soie et signèrent... Ellery Queen. Cet effet de fiction-dans-la-fiction allait devenir la marque de fabrique des deux cousins. Le magazine McClure’s ayant fait faillite, leur roman ne fut pas primé mais parut en 1929 chez l’éditeur Stokes. Dannay et Lee avaient, bien sûr, d’autres idées d’intrigues en tête et se remirent aussitôt au travail. Le premier
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