#Essais

En avant, route !

Alix de Saint-André

Alix de Saint-André a pris trois fois la route de Compostelle. La première fois, elle est partie de Saint-Jean-Pied-de-Port, sur le chemin français, avec un sac plein d'idées préconçues, qui se sont envolées une à une, au fil des étapes. La deuxième fois, elle a parcouru le "chemin anglais" depuis La Corogne, lors d'une année sainte mouvementée. L'ultime voyage fut le vrai voyage, celui que l'on doit faire en partant de chez soi. Des bords de Loire à Saint-Jacques-de-Compostelle, de paysages sublimes en banlieues sinistres, elle a rejoint le peuple des pèlerins qui se retrouvent sur le chemin, libérés de toute identité sociale, pour vivre à quatre kilomètres-heure une aventure humaine pleine de gaieté, d'amitié et de surprises. Sur ces marcheurs de tous pays et de toutes convictions, réunis moins par la foi que par les ampoules aux pieds, mais cheminant chacun dans sa quête secrète, Alix de Saint-André, en poursuivant la sienne, empreinte d'une gravité mélancolique, porte, comme à son habitude, un regard à la fois affectueux et espiègle.

Par Alix de Saint-André
Chez Editions Gallimard

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Genre

Récits de voyage

 

 

 

 

 

 

 

COMPOSTELLE I

 

 

 

La puerta se abre a todos,

enfermos y sanos,

no sólo a católicos,

sino aun a paganos, a judíos, herejes,

ociosos y vanos ;

y más brevemente, a buenos y profanos.

 

Poema del siglo XIII

 

La porte est ouverte à tous,

aux malades et aux bien-portants,

pas seulement aux catholiques,

mais aussi aux païens, aux juifs, aux hérétiques,

aux oisifs et aux vains ;

en bref, aux gens de bien comme aux profanes.

 

Poème anonyme du XIIIe siècle

 

 

 

 

 

 

 

Bécassine chez les pèlerins

 

 

Le 14 juillet 2003, ma cousine Cricri et moi-même étions dans le très typique village de Saint-Jean-Pied-de-Port, au Pays basque, attablées devant une nappe à carreaux rouges et blancs typique, en train d’avaler du fromage et du jambon typiques avec un coup de rouge typique aussi, en fin d’après-midi, sous la menace d’un orage de montagne, bien noir mais presque tiède.

J’étais au pied du mur.

D’un grand mur appelé : Pyrénées.

Cricri connaissait très bien le chemin de Compostelle ; elle avait fait beaucoup de reportages dessus.

Moi, je ne connaissais même pas l’itinéraire. Je fumais trois paquets de cigarettes par jour depuis vingt-cinq ans, et, selon l’expression de Florence, j’entrais dans les restaurants avec ma voiture.

Je n’avais rien préparé. Aucun entraînement. Ni sportif ni géographique. Aucune inquiétude non plus : le chemin était fléché et il y avait plein de monde. Je n’aurais qu’à suivre les autres. À mon rythme. Ce n’était pas bien compliqué. Fatigant, peut-être ; dur, mais pas difficile.

Cricri m’offrit un couteau ; je lui rendis une pièce de monnaie (pour ne pas couper l’amitié), et elle partit.

J’achetai un bâton ferré — appelé un bourdon. Il fallait qu’il soit léger, m’avait-elle dit. Celui-ci était léger, clair, droit, avec une courroie de cuir. En haut, un edelweiss pyrogravé couronné de l’inscription « Pays basque » faisait plus touriste que pèlerin, pas très professionnel.

Mais le vendeur m’assura que ça irait.

 

 

 

 

 

 

PREMIER JOUR

 

 

Tout de suite, ça grimpe. Il est plus tôt que tôt, l’air est chaud et humide comme à Bombay pendant la mousson, et ça monte. Sur une route asphaltée, pour voitures automobiles, dure sous les pieds ! Grise et moche. On peut juste espérer que la campagne est belle. Dès qu’on sera dégagés du gros nuage qui nous enveloppe, on verra. Pour le moment, bain de vapeur.

J’ai suivi les autres, comme prévu. Je me suis levée en pleine nuit, pour faire mon sac à tâtons au dortoir. On sonne le réveil à six heures dans les refuges, mais tout le monde se lève avant l’aube. Pourquoi ? Mystère. D’ores et déjà je sais une chose : dans le noir, j’ai perdu mes sandales en caoutchouc, genre surf des mers, pour mettre le soir.

Je sais aussi une autre chose : je ne ferai pas demi-tour pour les récupérer !

 

*

 

Je marche derrière un jeune couple de fiancés catholiques. Des vrais. Au-delà de l’imaginable. Courts sur pattes musclées sous les shorts en coton. Très scouts des années cinquante. Ils sont venus à pied de Bordeaux. Il doit y avoir une réserve là-bas. Gentils, polis, souriants : je hais les catholiques, surtout le matin. Ils me vouvoient et ne savent pas encore quand ils vont se marier. Pour le moment, la situation leur convient : un long voyage de non-noces dans des lits superposés !

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16/04/2010 307 pages 22,90 €
Scannez le code barre 9782070128372
9782070128372
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