#Roman étranger

Enfants des morts

Elfriede Jelinek

Dans une paisible villégiature styrienne, à la pension Rose des Alpes, trois morts reviennent tourmenter les vivants : Edgar Gstranz, à peine vingt ans, ancien skieur professionnel de l'équipe olympique autrichienne mort plusieurs années auparavant dans un accident de voiture après une soirée bien arrosée, Gudrun Bichler, jeune thésarde citadine et dépressive suicidée dans sa baignoire, et Karin Frenzel, veuve racornie entièrement assujettie à sa mère, ce personnage tyrannique et borné. Au cœur d'un paysage idyllique (versants enneigés, vastes panoramas, auberges accueillantes et serveuses tourbillonnantes en dirndl), les trois morts-vivants, dans un perpétuel memento mori, porte-voix de tous les humiliés, toutes les victimes innocentes de l'Autriche, se réincarnent pour tuer, violer, torturer, écharner les vivants. Dans cette gigantesque farce macabre, longue dérive hallucinée qui emprunte aussi bien au pamphlet qu'au policier, à l'allégorie baroque qu'au roman de divertissement, ce grand pandémonium où les morts tendent un miroir à des vivants fantomatiques, Jelinek poursuit et achève son voyage au bout de la nuit autrichienne.

Par Elfriede Jelinek
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature étrangère

 

 

 

 

1

 

 

Dans la montagne, où la quiétude est facilement déchirée par les éclairs, épouvantes fugaces qui au fond produisent bien peu mais déglinguent beaucoup, dans la montagne, donc, quelques personnes ont disparu. En contrepartie d’autres sont revenues, nous ne les regrettions pas du tout. Nous avons vécu tout ça en parfaite sécurité et nous en parlons comme si un mot nous avait juste effleurés puis, en passant, soudainement agressés.

 

Les disparus se sont instillés encore un moment dans les fêlures de la montagne, troupeau bien convenable à la recherche d’une protection sur les versants accores et à cri, puis on les a dévissés en un tournemain. C’étaient de ces gens, vacanciers, qu’on retrouve tout le temps et partout, aussi on s’étonne franchement qu’ils soient partis. Pour les bêtes ils exigeaient des laisses, pour les hommes des commandements : Personnages qui un beau jour ne réapparaissent plus à la réception de l’auberge, dommage, on s’était habitué à les servir. Du coup ils n’iront plus à la gamelle, jamais, et qui saisira alors l’assiette de la beauté, ici, maintenant, attendu qu’ils sont loin ? Qui les a soustraits à la nature, leur deuxième patrie ? L’érudit tangue et brimbale de tout son être comme dans un véhicule mais qu’il veuille se reposer un peu il n’a plus rien pour se tenir. Il a saisi l’immédiat et c’était précisément le médium pour transformer ce qui lui était sacré en son contraire : sa simple présence ici, les belles montagnes ! Là notre exigence. Nature, aînée de la famille, toujours à faire épousseter les autres à sa place ! Ces gens ont-ils péri dans les montagnes après un attentat qui les a rendus à la mort ? L’irréel a-t-il fait un acte de procréation par lequel, simultanéité, la vie de ces effacés a été scellée ? Une cérémonie qui dure encore ?

 

D’eux, l’air n’aura pas gardé la plus petite expression. Il y a un instant encore leurs pustules exprimées, piolets entrechoqués, maintenant les pierres éclatent et la tarte à la crème de l’inouï mais néanmoins vécu, éprouvant éprouvé, leur dégouline du menton. Regardez comme les montagnes crues trouent le glaçage bleu du ciel ! (Être nature c’est être perçu !) Qui-vive et pleins d’humour les autochtones, dans leurs sang désordre à vif pour cent. Nous les accaparons distraitement, ces compagnons mal dégrossis à qui même l’estampille de l’argent n’aura pas fait entrer dans la caboche ce que, variétés de bières ou de schnaps, ils sont censés nous servir. Chaque jour il faut repasser les commandes et toutes les conversations roulent sur cette ambiguïté, d’un côté c’est goûteux, de l’autre c’est malsain. La roche serpentine retentit de tous ses pitons, elle ne moufte pas néanmoins, ne paie pas de mine, aussi bien, comme notre flash spécial l’a annoncé tout à l’heure, celle-ci a déjà explosé il y a quelques heures. La montagne est redevenue une bête docile caressante, apaisée, attention, courbez l’échine, le présent texte commence. Il glisse sous Vos Mains mais c’est pas grave, faudra juste qu’un autre me parachève, un guide de haute montagne, pas vous !

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trad. Olivier Le Lay
04/01/2007 534 pages 25,40 €
Scannez le code barre 9782020500722
9782020500722
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