#Essais

MEMOIRES. Tome 2,....Et la mer n'est pas remplie

Elie Wiesel

" Je vais devenir militant. Et enseigner. Partager. Témoigner. Révéler et diminuer la solitude des victimes ". Tels sont les défis que se lance, à 40 ans, Elie Wiesel. Les lieux où règnent la guerre, la didacture, le racisme et l'exclusion déterminent la géographie de son engagement et son histoire au jour le jour : URSS, Moyen-Orient, Cambodge, Afrique du Sud, Bosnie ... Conférences, manifestes, interventions : pour le romancier de l'angoisse et du doute, la parole devient une arme. Il dénonce la libération du terroriste Abou Daoud par la France, la visite de Reagan au cimetière militaire allemand de Bitburg, les contrevérités de Mitterrand, Walesa ou Simon Wiesenthal, les excès de l'armée ou de la justice en Israël. Et combat ces intellectuels inquisiteurs qui comptent les " dividendes d'Auschwitz ", ces producteurs pour qui l'Holocauste est prétexte à grand spectacle, cette intelligentsia qui jette le trouble entre Israël et la Diaspora. Avec le prix Nobel de la paix viennent la célébrité, les honneurs, les désillusions. Et parfois la solitude, malgré la présence, au cœur des rêves, de la famille disparue, malgré la chaleur des étudiants de New York, Boston ou Yale, malgré le cercle des amis et l'Ahavat-Israël, l'amour pour Israël. " Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'est pas remplie ". Et pourtant, comment l'adolescent miraculé de Buchenwald renoncerait-il à son rôle de témoin et de défenseur des droits de tous les hommes ?

Par Elie Wiesel
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Histoire de France

Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n’est pas remplie. Le lieu vers lequel ils se dirigent, c’est là qu’ils veulent aller. Elles sont dures, les choses de la vie. Aucune parole ne peut les décrire, l’œil ne se rassasie pas de voir, ni l’oreille d’écouter.

Jette ton pain à la surface des eaux, car avec le temps tu le retrouveras ; donnes-en une part à sept ou même à huit personnes, car tu ne sais pas quel malheur peut arriver sur la terre…

… Quand les nuages sont lourds de pluie, ils la répandent sur la terre ; et si un arbre tombe, au midi ou au nord, il reste à la place où il est tombé.

L’Ecclésiaste

La chronique raconte que le célèbre Rabbi Shnéour-Zalmen de Ladi, dénoncé par un adversaire du mouvement hassidique comme agitateur contre le tsar, fut arrêté et enfermé dans la prison de Saint-Pétersbourg.

Un jour, le directeur de la prison vint le visiter dans sa cellule solitaire et lui dit :

« On m’informe que vous êtes un Rabbi, un Maître. Vous connaissez donc les textes sacrés, la Bible. Expliquez-moi un passage que je ne comprends pas dans le Livre de la Genèse. Il y est dit qu’après avoir mordu dans le fruit interdit Adam prit la fuite et se cacha, si bien que le Seigneur dut lui demander : “Ayéka – où es-tu ?” Est-il possible, même concevable, que le Créateur du monde ait ignoré où se trouvait Adam ? »

Alors le Rabbi, en souriant, lui répondit :

« Le Seigneur, loué soit son Nom, le savait ; Adam, lui, ne le savait pas. »

Et le Rabbi Shnéour-Zalmen de poursuivre :

« Croyez-vous que la Bible est un livre sacré ?

– Oui.

– Et qu’il s’adresse à tous les êtres, de toutes les époques, donc aussi à la nôtre ?

– Oui, je le crois.

– Dans ce cas, je vais vous expliquer le vrai sens de la question que Dieu posa à Adam. “Ayéka” signifie : où es-tu donc dans ce monde ? Quelle est ta place dans l’Histoire ? Où en es-tu de ta vie, Adam ? Ces questions fondamentales, chaque être humain doit, un jour ou l’autre, les affronter. »

Pour chacun de nous, le livre de la vie remonte jusqu’à Adam. Le mystère du commencement, c’est lui qui l’incarne. Mais c’est à nous tous que Dieu s’adresse par le mot « Ayéka ».

 

… Écrire, écrire sur soi-même, sur son passé et son poids de mémoire, c’est un peu cela : garder présente cette première question de la Bible.

En relisant mes carnets, j’interroge l’homme qui les traverse, souvent projeté de page en page, d’événement en événement. A quel carrefour se trouve-t-il ? Guetté par quel péril, attiré par quelle voix ? Comment et où le saisir : dans son goût pour la solitude ou dans son besoin de s’en évader ?

J’essaie de m’orienter dans ma vie : je sais qu’il s’agit de continuer.

Devant moi, toujours, la photo de la maison où j’ai grandi. La porte qui donne sur la cour. La cuisine. J’ai envie d’y entrer, mais j’ai peur. Je regarde la maison. Je veux la regarder, même de loin. Avec tout ce qui m’arrive, il m’est absolument indispensable de me souvenir d’où je viens.

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18/09/1997 542 pages 23,80 €
Scannez le code barre 9782020296427
9782020296427
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