#Essais

Extrémisme religieux et dictature. Les deux faces d'un malheur historique

Alaa El Aswany

Dans une série d'articles, Alaa Al Aswany, observateur engagé dans les bouleversements sociaux de l'Egypte, dresse le tableau des effets de la religion sur la vie quotidienne des Egyptiens. Il décrypte et analyse sans concessions les pratiques religieuses hypocrites, qui touchent toutes les couches de la société égyptienne et font obstacle à la libre réflexion. Il montre de quelle manière la religion peut devenir source d'inégalités et d'injustices. Ce faisant, il trace avec force un chemin vers un islam tolérant et ouvert sur le monde, dans le droit fil de son précédent essai, Chroniques de la révolution égyptienne paru chez Actes Sud en 2011.

Par Alaa El Aswany
Chez Actes Sud Editions

0 Réactions |

Genre

Histoire internationale

 

 

 

 

 

LE CRIME DE LA DOCTORESSE BASSMA

 

Al-Shorouk, 27-04-2009

 

 

 

En 1982, j’ai été nommé médecin résident au département de chirurgie dentaire de la faculté de médecine le même jour qu’une collègue qui s’appelait Bassma. J’ai travaillé avec elle pendant toute une année, et une amitié véritable est née entre nous. Je voyais en elle le modèle d’une Égypte honorable tant du point de vue moral que professionnel ou scientifique. Puis je quittai mon travail à l’université pour aller étudier aux États-Unis et je ne revis plus mon amie Bassma pendant de longues années, jusqu’au jour où j’eus de ses nouvelles par la presse. Elle se trouvait en grande difficulté. Elle était née dans une famille bahaïe et, lorsqu’elle annonça sa religion au département de chirurgie où elle travaillait, un certain nombre de professeurs lui déclarèrent ce qu’ils considéraient comme une guerre sainte. En dépit de son excellence dont tous témoignent, on la fit volontairement échouer à tous les examens auxquels elle se présentait. La volonté déclarée était de l’empêcher d’être diplômée jusqu’à ce qu’elle soit renvoyée de l’université. Il lui fallut également supporter le persiflage permanent sur sa religion, les railleries et les accusations de mécréance faites par les plus petits comme par les plus grands. La doctoresse Bassma mena le combat avec courage, convaincue qu’elle n’avait rien fait de mal, rien dont elle eût à rougir, en annonçant qu’elle était bahaïe. Elle adressa des centaines de plaintes à tous les responsables de l’État jusqu’à ce qu’elle obtienne finalement son doctorat grâce à l’intervention du président de l’université lui-même et après que certains professeurs soucieux de justice, comme le docteur Chérif el-Mufti ou le docteur Hani Amin, eurent pris son parti. Malgré cela, le département refusa de la nommer à un poste d’assistant parce qu’elle était bahaïe. Les professeurs extrémistes firent prononcer contre elle une fatwa1 d’Al-Azhar décrétant qu’elle était renégate puis ils diffusèrent ce verdict dans l’université, ce qui la terrorisa parce qu’elle était de ce fait à chaque instant exposée à l’assassinat2. Pourtant la doctoresse Bassma ne désespéra pas. Elle continua à combattre courageusement jusqu’à ce qu’elle finisse par arracher la reconnaissance de son droit à être nommée à l’université. Ses problèmes ne s’arrêtèrent pas pour autant, car c’est alors que surgit la fameuse contestation – qui souleva à nouveau les extrémistes – au sujet de l’inscription de la religion bahaïe sur la carte d’identité. La doctoresse Bassma fut invitée à l’émission du professeur Waël el-Abrashi. Face à elle se trouvait le professeur Gamal Abderrahim, un journaliste qui semble se croire mandaté pour l’inspection des consciences des gens et de leurs religions. L’homme l’agonit d’insultes simplement parce qu’elle avait une religion différente de la sienne. Il lui dit textuellement qu’elle était une renégate et qu’elle méritait d’être tuée, ce qui était une incitation au meurtre dans un média touchant des millions de gens. La provocation récolta ses fruits et, le lendemain, dans le village de Shourania, dans la province de Sohag, les maisons des bahaïs furent brûlées par des extrémistes qui avaient vu l’émission et considéraient qu’il était de leur devoir de mettre en application les propos du journaliste provocateur. Le plus étrange, c’est que celui qui conduisit cette agression contre des innocents pacifiques était le secrétaire local du Parti national démocratique3, qui déclara ensuite qu’il était fier de ses actes et qu’il continuerait à poursuivre les bahaïs, à les battre, les adultes comme les nourrissons, et à brûler leurs maisons. Cette campagne se poursuivit et certains cheikhs entamèrent une procédure pour demander que la nationalité égyptienne soit enlevée aux bahaïs.

Commenter ce livre

 

trad. Gilles Gauthier
22/10/2014 230 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782330036515
9782330036515
© Notice établie par ORB
plus d'informations