#Roman francophone

Foreveur

Patrice Juiff

Rémy aime Emilie. Emilie aime Rémy. Un jour, le père de Rémy meurt. Rémy ne veut retourner ni "chez les fous" , ni chez sa mère. Il kidnappe alors Emilie et dérobe les cendres de son père pour les emmener en voyage, une petite semaine, au bord de la mer. Jours de bonheur, malgré la crainte d'être reconnus et arrêtés. Rémy se sent petit à petit devenir un homme dans les bras d'Emilie, son devoir de fils accompli... Il est loin d'imaginer que leur aventure ne fait que commencer. Patrice Juiff nous entraîne dans un road movie sentimental, une quête humaine où les coeurs battent souvent la chamade, où l'humour permanent et la fausse naïveté du style sont le prétexte pudique d'une magnifique ode à la vie, loin de la normalité, où la beauté n'est pas toujours là où l'on croit. Patrice Juiff est comédien, romancier et nouvelliste. Il est l'auteur de trois romans, Frère et soeur (Plon, 2003), Kathy (Albin Michel, 2006) et Tous les hommes s'appellent Richard (Ecriture, 2015). Son recueil de nouvelles, La taille d'un ange (Albin Michel, 2008), sélectionné pour le prix Goncourt, a reçu le Grand prix de la nouvelle de la Société des gens de lettres.

Par Patrice Juiff
Chez Editions du Rocher

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Genre

Littérature française

À Dominique et Jonas, mes amours

 

 

Écoute, mec, dis-toi bien une chose. Qu’il s’agisse de

castagne, de fusillades, de putains d’histoires d’amour, ce qui

compte dans la vie, mec, c’est la chance et la géographie.

James Crumley,

Folie Douce

Pour bien renaître, il est nécessaire de renouveler sa

garde-robe et de cirer ses pompes.

Anonyme

 

 

Première partie

 

 

1


Tout a commencé quand papa est mort. Cette nuit-là, comme toutes les nuits, je m’étais levé pour aller pisser. Le problème étant que, comme je suis somnambule, papa fermait toujours la porte de la chambre à clef parce qu’une fois, tout petit, j’étais sorti dans la rue sans m’en rendre compte et que j’avais failli me faire écraser par un camion-poubelle. Après cet incident, avant de se coucher, papa fermait toujours la porte à double tour et planquait la clef dans sa poche de pyjama.

Papa et moi, on dormait dans la même chambre depuis qu’on avait déménagé et que maman avait gardé la maison. On habitait un petit appartement de deux pièces dans un petit immeuble pourri, dans un quartier pourri où la moitié des immeubles et des maisons n’étaient plus habités. L’ensemble devait être rasé pour qu’on puisse y construire un grand centre commercial ultramoderne, avec, perchée dessus, une tour réservée à un usage de bureaux, comme c’était écrit sur une série de panneaux plantés aux abords du quartier. Dans notre immeuble, il n’y avait que nous et un couple de junkies pas tout jeunes avec qui papa s’entendait plutôt bien et chez qui il allait se payer un petit voyage immobile, comme il disait, à chaque fois qu’il était suffisamment triste pour me regarder avec des yeux différents.

Le truc que j’aurais dû tout de suite remarquer, c’est que papa ne ronflait pas. J’ai retiré doucement la couverture qu'il se remontait jusqu’au front et j’ai tapoté à la hauteur de ses fesses pour trouver la poche où il avait glissé la clef de la porte. J’aurais dû aussi remarquer que sa peau était plus froide que d’habitude. Et que ça sentait sacrément mauvais autour de lui. Mais je n’ai pas plus fait gaffe et la clef dans une main, le bout de mon zob dans l’autre, je me suis rendu aux toilettes, histoire de changer l’eau de mes olives, comme disait papy. À mon retour, papa n’avait pas bougé d’un millimètre. Je devais quand même me douter de quelque chose parce que j’ai allumé la lumière et je suis passé de l’autre côté du lit. Papa avait la tête enfouie sous l’oreiller. Je l’ai soulevée. La moitié de son visage était bleue et l’autre couverte de vomi. C’est à ce moment-là que j’ai compris qu’il était mort. Et même raide mort.

C’était la première fois que je voyais un mort pour de vrai et pas seulement à la télé. Papy, lui, je n’avais pas eu le droit de voir son cadavre quand maman était allée au magasin des pompes funèbres pour lui rendre un dernier hommage avec mamy et tonton Jacques. Papa n’y était pas allé non plus. Il disait que le meilleur hommage qu’on pouvait lui rendre, c’était d’aller au bistrot où il avait ses habitudes et où il jouait aux cartes avec sa bande de vieux copains, et de lever un verre à sa santé en leur compagnie. Sauf que boire à la santé d’un mort, je me disais que ça ne voulait rien dire. Quand je lui avais demandé si c’était possible, papa m’avait répondu qu’il ne buvait pas à la santé de son corps, mais à celle de son âme. Et quand je lui avais demandé si une âme était assez vivante pour qu’on puisse boire à sa santé, il m’avait regardé avec ses yeux différents et il ne m’avait rien répondu. Papa disait que mon seul vrai défaut, c’était de poser tout le temps des questions. Parce que ça le chagrinait de ne pas pouvoir toujours y répondre.

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02/05/2016 235 pages 18,90 €
Scannez le code barre 9782268084732
9782268084732
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