#Essais

Génération Y. Les jeunes et les réseaux sociaux, de la dérision à la subversion, 2e édition revue et augmentée

Monique Dagnaud

Ils ont entre 15 et 25 ans et ils ont grandi avec Internet. Ils participent massivement aux réseaux sociaux, et le web a révolutionné leur façon de regarder le monde et de s'y projeter. Emergence d'une "identité numérique expressive", conversation en continu, productions artistiques amateurs, culture lol, raids de hackers, actions protestataires, attachement à une économie du gratuit : se dessinent ainsi de nouveaux profils psychologiques, une façon inédite de vivre ensemble et de s'organiser, un mode de consommation dont le modèle économique reste à créer. Mais, face à une innovation technologique d'une telle ampleur et aux transformations sociales qu'elle génère, ne peut-on d'ores et déjà parler de rupture anthropologique ?

Par Monique Dagnaud
Chez Les Presses de Sciences Po

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Genre

Sociologie

 

 

Introduction

 

La génération Y désigne les individus nés entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990. Ces adolescents et jeunes adultes ont grandi au moment où l’usage d’internet s’est généralisé : la e-culture est leur royaume et, pour cette raison, on les désigne aussi par le terme de digital natives. Pourquoi « Y » ? Parce qu’ils succèdent à la génération dite « X » – celle des quarantenaires qui s’exercent à l’ombre de leurs célèbres aînés, les baby-boomers au moral et aux utopies inoxydables, et que le romancier Douglas Coupland a décrits dans un livre culte1. Parfois appelée génération WHY (jeu de mot sur la phonétique anglaise du Y), ou représentée avec le Y formé par les fils d’un i-Pod encadrant le visage, la génération Y a suscité enquêtes et sondages pour répondre aux interrogations que les départements de ressources humaines se posent sur le profil, le sociotype, les modèles de comportement de ces futurs acteurs de l’économie2. Quel type de management concevoir pour ces nouvelles recrues des entreprises, ces vif-argent qui ne supportent pas les hiérarchies et circulent à la vitesse du vent entre le monde réel et un ailleurs3 on line ? Comment aborder cette catégorie de consommateurs, dont le nom même de « génération Y » a déjà été érigé en concept marketing par les publicitaires ? Même si la génération Y4 désigne une classe d’âge, celle des adolescents et jeunes adultes, unis par beaucoup de traits communs, il ne s’agit en aucun cas d’un ensemble homogène, et l’on ne doit pas, bien entendu, sous-estimer les disparités sociales et culturelles qui la traversent.

J’ai choisi de m’intéresser à cette génération par d’autres voies que celles du travail et de la consommation, en appréhendant ses membres en tant qu’acteurs sociaux et innovateurs culturels. J’ai voulu comprendre comment ces jeunes internautes s’approprient les potentialités du Net dans les divers aspects de leur vie et quel en sera l’impact social à long terme. Au fil de mon observation, j’ai cherché à mettre en lumière l’articulation entre système communicationnel, d’une part, et système de valeurs et de représentation du monde de l’autre, en partant du postulat qu’ils ont partie liée. Je me suis également attachée à montrer combien le Net formait un cadre culturel en soi, par son histoire, par l’expérience qu’il procure, et par la « matrice idéologique » que constitue le milieu professionnel de l’internet – informaticiens, webmasters, webdesigners, journalistes, animateurs de blogs, e-entrepreneurs, etc.

La question des identités générationnelles a toujours passionné les sociologues tant elle détient d’éléments qui concernent l’évolution des sociétés. D’abord, elle touche au sujet de l’intégration des jeunes et de la transmission des valeurs et des modes de vie. Ensuite, elle met en cause les événements historiques connus ou subis par les générations dans leurs années de jeunesse, et qui reconfigurent leur rapport au monde : les transformations économiques, les mouvements intellectuels, les crises, les guerres impriment la mémoire, conditionnent les attitudes et introduisent des mutations culturelles. Ces changements sont souvent émancipateurs, comme l’a démontré, dans la première partie du xxe siècle, le sociologue allemand Karl Mannheim, dont l’œuvre fait autorité sur la problématique des générations. Dans la période contemporaine, les travaux se sont multipliés sur les comportements générationnels et les ruptures qu’ils introduisent. Deux sociologues américains, Neil Howe et William Strauss, ont même lancé un pari audacieux : élaborer, pour les cinq derniers siècles, une typologie des générations selon plusieurs paramètres (idéalisme, réactivité, civisme, capacité d’adaptation, etc.)5. Plus généralement, les inégalités intergénérationnelles font l’objet de multiples travaux statistiques et ce sujet soulève sans cesse de nouvelles questions économiques6. Depuis les années 2000, l’attention portée à la problématique générationnelle est presque devenue une obsession dans le débat public, tant les nouvelles générations peinent à s’intégrer et à conquérir leur autonomie professionnelle dans les économies languissantes des sociétés occidentales, en premier lieu en Europe du Sud. C’est dans ce contexte de dépression qu’est survenue la révolution internet.

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10/01/2013 210 pages 15,00 €
Scannez le code barre 9782724612837
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