#Roman francophone

Helena

Jérémy Fel

Kansas, un été plus chaud qu'à l'ordinaire. Une décapotable rouge fonce sur l'Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l'ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s'échappent d'une cave. Des rêves de gloire naissent, d'autres se brisent. La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue. Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l'équilibre familial. Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu'en l'infligeant à d'autres... Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d'où ils tenteront par tous les moyens de s'extirper. Quitte à risquer le pire. Et il y a Helena... Jusqu'où une mère peut-elle aller pour protéger ses enfants lorsqu'ils commettent l'irréparable ? Après Les Loups à leur porte, Jeremy Fel aborde cette vertigineuse question dans une grande fresque virtuose aux allures de thriller psychologique.

Par Jérémy Fel
Chez Rivages

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Editeur

Rivages

Genre

Littérature française

À ma mère.

 

 

« Toto, I’ve a feeling we are not in Kansas anymore. »

Victor FLEMING, The Wizard of Oz

 

« When the lambs is lost in the mountain, he said. They is cry. Sometime come the mother. Sometime the wolf. »

Cormac MCCARTHY, Blood Meridian

 

« And I see a darkness.

Did you know how much I love you ?

Is a hope that somehow you,

Can save me from this darkness. »

Bonnie « Prince » BILLY

 

 

Agenouillé au-dessus de sa proie, Tommy respira à pleins poumons les odeurs métalliques de son nouveau royaume.

Sa tête tournait encore sous les effets de l’alcool. Il ferma les yeux et savoura le silence si particulier qui régnait entre les murs du vieil abattoir, pour un temps à l’abri de la fureur du monde, seulement concentré sur celle qui, confinée dans son propre corps, en jaillirait un jour et le laisserait enfin en paix.

Le chien gisait sur le flanc et poussait de petits gémissements, aussi aigus que les crissements de roues d’un vélo. Tommy passa sa main le long de sa mâchoire entrouverte, un souffle chaud lui enrobant la paume. Le chien lui lécha alors les doigts, comme pour le supplier de lui laisser la vie.

Tommy l’avait traîné jusque-là en laissant une longue marque visqueuse dans les hautes herbes. Ses propriétaires, les Lumley, possédaient une ferme à une vingtaine de kilomètres de sa maison, et ce gros malinois l’avait souvent terrorisé quand il était plus jeune, montrant les crocs dès qu’il passait devant chez eux à scooter ou à vélo, seule sa chaîne l’empêchant de lui sauter à la gorge.

Mais ce matin il avait eu sa revanche en l’apercevant sur le bas-côté de la route. Comme dans un rêve. Il avait aussitôt appuyé sur l’accélérateur, pour le percuter à plus de quatre-vingts kilomètres/heure.

C’était le dixième animal qu’il rapportait depuis le début de l’été. Il avait commencé par des chats ou des lapins, puis avait capturé un chien errant aux alentours du vieux château d’eau en l’appâtant avec un morceau de viande. Il les lui fallait vivants, il avait passé l’âge de jouer avec les cadavres. C’était leur chaleur qu’il voulait leur voler, et savoir combien de souffrances ils pouvaient endurer, combien de sang s’écoulerait de leurs plaies avant que leur cœur ne s’arrête définitivement de battre.

Morts, ils lui appartenaient totalement. Morts, ils lui appartenaient tous.

 

L’électricité était coupée. Des pigeons rentraient parfois par un vasistas à la vitre brisée et se nichaient dans les renfoncements du haut des murs, le bruit de leurs ailes résonnant dans le noir et leur faisant prendre, dans son esprit, la forme de gros insectes, prêts à fondre sur lui.

C’était dans cet endroit que les équarrisseurs dépeçaient les chevaux ou les porcs des fermes avoisinantes, jusqu’à ce qu’on construise un abattoir plus moderne aux environs de Topeka. Tommy voulait profiter de ce lieu avant qu’il ne soit détruit en début d’année suivante pour laisser place à des logements sociaux réservés à des familles pauvres de la ville, en majorité noires, et qui viendraient les envahir, eux aussi. Mais il serait, s’il le fallait, là pour défendre leurs terres contre la racaille.

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22/08/2018 733 pages 23,00 €
Scannez le code barre 9782743644673
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