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Genre
Critique littéraire
L’Auteur entre Légende et Vérité
L’image d’Épinal de l’Auteur sans le sou, vivant d’un quignon de pain et d’un petit verre de vin, portant une veste en velours élimée aux coudes, courant les mondanités pour obtenir les faveurs des critiques… est absolument vraie. Seule notre interprétation en est faussée. Le naturel, ça se travaille, et être Auteur requiert de respecter un minimum de règles. Il ne s’agit pas tant d’être que d’incarner. Être Auteur, c’est accepter la charge qui incombe à l’Auteur, le poids de l’Histoire, l’inscription dans la tradition, tout en s’adaptant aux usages de la modernité. On ne naît pas Auteur, on le devient.
Pour commencer, l’Auteur ne vit pas uniquement pour l’amour des belles lettres, entretenant pour tout loisir une demi-mondaine syphilitique avec grande difficulté. L’Auteur n’est en aucun cas détaché des réalités matérielles. En un mot comme en cent (euros), il veut des sous, et le livre n’est peut-être pas le moyen le plus sot pour en gagner. Pas fou, l’Auteur fait autre chose qu’écrire pour gagner sa vie. Lui aussi a un patron qui l’ennuie, des collègues qui l’assomment et une machine à café d’entreprise en panne un jour sur deux. Le livre est un business qu’il s’agit de bien valoriser : un bon à-valoir, des ventes mirifiques, une presse dithyrambique précédée d’un soutien unanime des libraires, un prix Goncourt, une cession en poche, une adaptation cinéma par Spielberg. Bref, rien de bien sorcier, pense-t-il. L’Auteur pourra alors se payer sa propre cafetière, et les services de son patron comme soubrette. Il se vengera ainsi de toutes ces années d’humiliation.
Ensuite, l’Auteur porte effectivement une veste de velours élimée aux coudes. Mais cette usure n’est pas la marque d’un revers de fortune. C’est un effet de coquetterie. Cette veste est « couture », elle a coûté un œil de cyclope. Être Auteur, c’est avant tout avoir le look d’un Auteur. On doit le reconnaître au premier regard. À l’instar de la majorette et de ses pompons ou du gendarme et son képi, l’Auteur porte un uniforme dont les codes sont aussi stricts qu’à l’armée. La tenue adéquate est « vintage », comprendre : comment acheter hors de prix les oripeaux que votre arrière-grand-mère aurait mis au rebut ; mais surtout, être Auteur, c’est être négligé. Barbe de trois jours, pas plus, cheveux gras mais pas sales, grande mèche qui barre le front, coiffage au doigt, surtout jamais de peigne. Le pantalon est resserré aux chevilles, « slim » pour les plus érudits, tombant en plis étudiés sur des chaussures pointues type poulaines impeccablement cirées. Il est de bon ton de porter des lunettes pour prouver qu’on s’est usé les yeux pendant de longues heures sur son manuscrit. Pour la chemise, le tissu le plus ringard et le plus folklorique est de rigueur, mais là encore, attention, il y a des codes à respecter, la coupe doit être italienne et le col rigide.
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