Pour ma mère qui m’a apporté les premiers mots,
dans les rues et les collines de Marseille et qui m’accompagne sur toutes les petites routes bleues de mes cahiers.
Pour Nicole qui est le miroir de ces mots.
« Où je vais personne ne va, personne n’est jamais allé, personne n’ira. J’y vais seul, le pays est vierge et il s’efface derrière mes pas. »
Jean GIONO, Journal
« La grande fatigue de l’existence n’est peut-être en somme que cet énorme mal qu’on se donne pour demeurer vingt ans, quarante ans, davantage, raisonnable, pour ne pas être simplement, profondément soi-même, c’est-à-dire immonde, atroce, absurde. Cauchemar d’avoir à présenter toujours comme un petit idéal universel, surhomme du matin au soir, le sous-homme claudicant qu’on nous a donné. »
Louis-Ferdinand CÉLINE,
Voyage au bout de la nuit
« Je vais m’acheter un cheval et partir trafiquer dans l’inconnu. »
Arthur RIMBAUD
Chaque année en septembre j’ai peur de mourir, alors j’achète un cahier. J’ai peur de mourir depuis l’âge de cinq ans, tous les jours, à chaque heure du jour et encore plus au milieu de la nuit, quand je vais aux toilettes sans allumer. Si j’allumais j’aurais encore plus peur.
En septembre c’est beaucoup plus cruel. C’est si beau septembre, si limpide, si bleu. Chez nous, ici, c’est le plus beau mois de l’année. Ce n’est pas un mois, c’est un fruit.
L’après-midi je vais au bord des rivières, cueillir des mûres sauvages. À travers les infranchissables ronciers j’entends les derniers cris d’enfants qui glissent dans le courant sur de noires chambres à air de tracteur. Ils sont libres comme l’eau verte qui file entre les roseaux, aussi sombres que le caoutchouc où ils s’agrippent de tous leurs ongles, encore immortels.
Les ronces déchirent mes bras, mes mains. Je suis vivant. Je suis vivant parce qu’un cahier m’attend, vierge encore, blanc. Il est posé sur la table de ma cuisine et il m’oblige à être vivant. Il m’attend comme un enfant. Je ne lui apporte que les mots d’une mère à son enfant. Il a besoin de moi pour se mettre à vivre.
Un jour je ne serai plus là pour sentir sur ma peau toute la beauté de septembre, son immense douceur, tous les mots que je trouve en marchant sur les galets brûlants des rivières ou dans la poussière des champs.
Après le 15 août, les amandes s’ouvrent et tombent au bord des chemins. Deux ou trois frelons tournent autour des plus hauts rameaux puis se glissent dans le tronc creux de ces arbres que personne n’a plantés et qui se demandent depuis cent ans comment ils sont arrivés là.
Septembre est le mois des amandes, des noisettes, des noix. On n’a qu’à s’asseoir sur les talus et les casser entre deux pierres, ou remplir ses poches et les ramener chez soi, comme un écureuil. Le figuier est moins intrigant, il se choisit une ruine et s’installe dedans. Je connais toutes les ruines des collines, les bergeries abandonnées, le tas de pierres d’un ancien pigeonnier, chacune a son figuier. Je suis le voyageur de septembre, je saute d’une ruine à l’autre, et dans la chaleur de ces longs après-midi de fin d’été, j’ouvre avec mes deux pouces ces fruits bouillants, mille graines d’or scintillent dans un sucre pourpre.
Extraits
Commenter ce livre