#Essais

Je ne baisserai plus les yeux

Isabelle Maurer

"Je n'ai pas de diplôme, pas d'emploi, pas un euro en poche. mais je suis une femme libre. J'appartiens au monde des petites gens, à ces Français qui ont du mal à joindre les deux bouts. Comme beaucoup d'entre eux, j'ai appris à répondre à la crise par la solidarité. Vivre dans l'empire de la débrouille vous oblige à être créatif et à résister à un autre empire bien plu redoutable, celui de la consommation. J'ai décidé de ne plus me sentir coupable d'être au chômage ou d'être pauvre. Je ne veux plus baisser les veux."

Par Isabelle Maurer
Chez Editions Les Arènes

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Genre

Faits de société

 

 

 

 

 

PROLOGUE

 

 

 

J’appartiens au monde des petites gens, à ces Français qui ont du mal à joindre les deux bouts, qui doivent se priver de tout. Il y a eu un temps où nous étions respectés ; aujourd’hui, nous sommes oubliés. Ceux qui parlent, qui pensent et qui dirigent ne savent rien de nous.

Je n’ai pas de diplômes, pas de formation, pas d’emploi, pas un sou en poche, mais je suis une femme libre : je n’entre dans aucune case et j’aime les gens. J’ai l’expérience de la pauvreté, cela vaut tous les rapports et toutes les courbes de Pôle emploi. Cette vie me permet de comprendre celles des autres. Je sais les raisons de la honte, les blocages psychologiques ; je sais qu’il arrive un jour où l’on se sent incapable. Après, il est très dur de remonter la pente. Mais s’il y a une chose dont je suis sûre, c’est que, pour avancer, il faut relever la tête et agir.

Depuis vingt-cinq ans, je suis engagée dans le bénévolat local. Donner est mon moteur. Je suis une PME sans chiffre d’affaires à moi toute seule. Ah ! J’en ai rencontré des gens, j’en ai écouté des histoires ! Lorsque l’hiver dernier, la fenêtre de la télévision s’est ouverte, l’espace de quelques minutes, je m’y suis engouffrée. C’était un face-à-face avec un homme-politique-énarque-présidentiable, en somme avec l’un de ces hommes qui, depuis plus de trente ans, nous disent quoi faire et comment penser. Il s’appelle Jean-François Copé, il aurait pu avoir dix autres noms, cent autres visages. Il est de passage. Pas nous. J’ai pu faire entendre la voix de tous ceux qu’on n’entend jamais. J’ai pu dire notre colère, tout ce qui bouillonne à l’intérieur, tout cet espoir que l’on voudrait rendre à nos enfants. J’ai voulu aussi lui dire toutes les belles choses que la vie nous donne sans qu’on les achète, tout simplement en partageant des mots et de l’entraide avec les autres, mais je n’ai pas eu assez de temps.

Mon enfance a été plus pauvre mais plus heureuse que la vie de beaucoup d’enfants d’aujourd’hui. Nous n’avions rien mais notre cœur était plein. La première fois que j’ai eu de l’argent entre les mains, j’avais 15 ans. Nous vivions dans l’économie du troc. L’échange était notre quotidien. Je retrouve cela aujourd’hui : comme beaucoup de Français, j’ai appris à répondre à la crise par la solidarité.

C’est cette vie que j’aimerais raconter, la vie simple d’une femme qui ne vaut peut-être pas plus qu’une autre, mais c’est ma vie, alors j’y tiens. Mon histoire est celle de tous ceux qui vivent l’empire de la débrouille. Je suis née avec la crise et je mourrai sans doute avec elle. Les grands cerveaux qui nous gouvernent ont une réserve inépuisable de mots pour masquer leur impuissance. Nous sommes des grains de sable dans leur machine à broyer notre avenir. En avril, j’ai été nommée tête de liste du Grand Est aux élections européennes pour le parti Nouvelle Donne. Je me dis que toute la richesse des petites gens vaut bien un livre et un combat.

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01/10/2014 203 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782352043584
9782352043584
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