Pour Sandrine, irrésistiblement
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Les douches de l’aéroport de Sydney, je les avais imaginées plus salubres et moins exiguës. Le carrelage était recouvert d’un caillebotis en plastique qui sentait les pieds. Comme mes tongs étaient restées dans ma valise, beurk. Pour éviter un contact direct avec le sol, j’ai enfilé la paire de chaussettes remise dans l’avion au départ de Roissy, tout en réalisant qu’une fois imbibées d’eau, ça ne changerait pas grand-chose. Les vêtements défraîchis et les propres, le sac de voyage, la serviette et la trousse de toilette : tu étais censée tout suspendre sur un minuscule crochet fixé à la porte de la cabine. Cela t’obligeait à empiler tes affaires les unes sur les autres et à vérifier toutes les trente secondes qu’elles n’allaient pas tomber par terre. Et puis, une fois dans la douche, on risquait de tout éclabousser tellement l’espace était réduit entre la porte et le jet. Il a fallu que je trouve une position assez inconfortable pour me laver sans me mouiller la tête ni toucher le mur, où persistaient des cheveux et des traces de shampoing des usagers précédents. Et puis cette odeur d’urine qui remontait de la bonde. Moi aussi, il m’arrivait de faire pipi sous ma douche. Mais c’était exclusivement chez moi, dans ma salle de bains. Je faisais longuement couler l’eau ensuite et je passais toujours une éponge avec un peu d’Ajax au fond de la baignoire pour terminer.
Une prof de SVT avait jadis expliqué en cours que, si beaucoup de gens ont envie d’uriner en prenant leur douche, c’est à cause du choc de l’eau sur la peau, d’une température inférieure à celle de notre corps. Pour s’adapter à cette information brutale qui lui fait perdre la boussole pendant quelques instants, l’organisme a le réflexe de compenser en rejetant la première source de chaleur qui lui vient à l’esprit : l’urine. « Un S.O.S. thermique », avait résumé la prof. Même si tu n’accroches pas vraiment à tes cours de biologie à quinze ans, des formules comme celles-ci t’accompagnent tout au long de ta vie, comme un proverbe. Je m’en étais souvenue pendant mes vacances en Tunisie, un après-midi que nous étions à la plage avec Fadila et ses cousins. La famille m’avait invitée à passer dix jours en août avec eux à Kelibia. L’eau était bonne, on se tenait tous en cercle, immergés jusqu’à la taille, à parler de tout et de rien sous le soleil qui déclinait. À un moment donné, Fadila a dit en se tortillant qu’elle avait une envie pressante mais qu’elle n’oserait pas se soulager en notre présence, qu’elle trouvait ça dégoûtant malgré l’immensité de la mer. Qu’elle l’aurait fait si elle avait été seule, mais plus au large, là où on n’a plus pied. Parce que, si près du bord et des autres baigneurs, elle ne trouvait pas cela très respectueux, etc. Comme elle aimait s’attarder quand elle parlait, Nidhal, son cousin handballeur, l’avait interrompue : « Pourquoi tu te prends la tête comme ça, Fadila ? Tiens, là, tu vois, pendant que tu nous racontes ta vie, je suis justement en train de pisser. Ni vu ni connu, tranquille. »
Extraits
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