#Essais

Journal 1942-1944. Edition abrégé

Hélène Berr

Hélène Berr a vingt et un ans lorsqu'elle commence à écrire son journal. L'année 1942 et les premières lois antijuives de Vichy marquent la fin de l'insouciance. Contrainte de porter l'étoile jaune, elle narre au quotidien son existence dans le Paris de l'Occupation. Déportée en mars 1944, elle meurt à Bergen-Belsen, quelques jours avant la libération du camp. Soixante ans durant, ce manuscrit est demeuré enfoui comme un douloureux trésor familial. Publié en 2008, le journal d'Hélène Berr est devenu un texte mythique. Il est donné à lire ici dans une version abrégée.

Par Hélène Berr
Chez Points

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Editeur

Points

Genre

Histoire de France

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Préface

par Patrick Modiano

 

 

Une jeune fille marche dans le Paris de 1942. Et comme elle éprouvait dès le printemps de cette année-là une inquiétude et un pressentiment, elle a commencé d’écrire un journal en avril. Plus d’un demi-siècle s’est écoulé depuis, mais nous sommes, à chaque page, avec elle, au présent. Elle qui se sentait parfois si seule dans le Paris de l’Occupation, nous l’accompagnons jour après jour. Sa voix est si proche, dans le silence de ce Paris-là…

Le premier jour, mardi 7 avril 1942, l’après-midi, elle va chercher au 40 de la rue de Villejust, chez la concierge de Paul Valéry, un livre qu’elle a eu l’audace de demander au vieux poète de lui dédicacer. Elle sonne et un fox-terrier se jette sur elle en aboyant. – Est-ce que M. Valéry n’a pas laissé un petit paquet pour moi ? Sur la page de garde, Valéry a écrit : « Exemplaire de mademoiselle Hélène Berr », et au-dessous : « Au réveil, si douce la lumière, et si beau ce bleu vivant. »

Pendant tout ce mois d’avril et ce mois de mai, il semble, à la lecture du journal d’Hélène Berr, que Paris, autour d’elle, soit en harmonie avec la phrase de Valéry. Hélène fréquente la Sorbonne où elle prépare un diplôme d’anglais. Elle accompagne un « garçon aux yeux gris » dont elle vient de faire la connaissance à la Maison des lettres, rue Soufflot, où ils écoutent une cantate de Bach, un concerto pour clarinette et orchestre de Mozart… Elle marche avec ce garçon et d’autres camarades à travers le Quartier latin. « Le boulevard Saint-Michel inondé de soleil, plein de monde », écrit-elle. « À partir de la rue Soufflot, jusqu’au boulevard Saint-Germain, je suis en territoire enchanté. » Parfois elle passe une journée aux environs de Paris dans une maison de campagne à Aubergenville. « Cette journée s’est déroulée dans sa perfection, depuis le lever du soleil plein de fraîcheur et de promesse, lumineux, jusqu’à cette soirée si douce et si calme, si tendre, qui m’a baignée tout à l’heure lorsque j’ai fermé les volets. » On sent, chez cette fille de 20 ans, le goût du bonheur, l’envie de se laisser glisser sur la douce surface des choses, un tempérament à la fois artiste et d’une très grande lucidité. Elle est imprégnée par la poésie et la littérature anglaises et elle serait sans doute devenue un écrivain de la délicatesse de Katherine Mansfield. On oublierait presque, à la lecture des cinquante premières pages de son journal, l’époque atroce où elle se trouve. Et pourtant, un jeudi de ce mois d’avril, après un cours à la Sorbonne, elle se promène dans le jardin du Luxembourg avec un camarade. Ils se sont arrêtés au bord du bassin. Elle est fascinée par les reflets et le clapotis de l’eau sous le soleil, les voiliers d’enfants et le ciel bleu – celui qu’évoquait Paul Valéry dans sa dédicace. « Les Allemands vont gagner la guerre, lui dit son camarade. – Mais qu’est-ce que nous deviendrons si les Allemands gagnent ? – Bah ! rien ne changera. Il y aura toujours le soleil et l’eau… Je me suis forcée à dire : “Mais ils ne laissent pas tout le monde jouir de la lumière et de l’eau !” Heureusement, cette phrase me sauvait, je ne voulais pas être lâche. »

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14/05/2009 200 pages 3,90 €
Scannez le code barre 9782757813751
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